Festival Manaki Brothers 2024, 45e édition
Entretien avec Daria D’Antonio, AFC, à propos de "Parthenope", de Paolo Sorrentino
Par François Reumont, pour l’AFCAvec Parthenope, Paolo Sorrentino l’emmène à Naples, au bord de la mer, pour un récit très personnel d’inspiration antique rempli d’allégories sur la beauté et la liberté... Avec au centre du projet la débutante Celeste Dalla Porta (27 ans) et sa silhouette ébouriffante. Un film en Compétition officielle à Bitola pour la Caméra 300, et qui a déjà reçu le prix CST de l’Artiste-Technicien à Cannes au mois de mai 2024. (FR)
Rencontrée dans les premiers jours, où son film faisait l’ouverture cette année, Daria D’Antonio nous explique tout d’abord sa passion pour Manaki Brothers :
« Ce festival est extraordinaire, d’abord il y a l’expérience de partager le film que vous avez fait avec beaucoup de gens que vous estimez en tant qu’opérateur. C’est incroyable de se retrouver avec ces directeurs de la photo venus du monde entier, qui ont, pour certains, tourné des films qui vous ont vous-même inspirés. Je me souviens par exemple de mon expérience l’année passée en tant que Présidente du jury, et toutes ces discussions qu’on a pu avoir autour des films, qui dépassent de très loin simplement l’analyse de l’image et les défis éventuels que chacun a pu rencontrer sur chaque tournage. Les points de vue des Européens, bien sûr, mais aussi ceux de collègues venus d’Asie ou du Moyen-Orient, c’est une chose unique et vraiment extraordinaire. Vous savez, pour Parthenope, c’est seulement la deuxième fois après le Festival de Cannes que le film est montré au public. Les retours sont extrêmement importants pour moi. »
Tourné sur dix semaines entre Naples et Capri, Parthenope est un film où la mer tyrrhénienne est omniprésente, à l’image de ce personnage mythologique de sirène qui lui donne son nom. Le film est également la vision d’un quinquagénaire sur la beauté, celle d’une jeune femme filmée comme une déesse. Daria D’Antonio, elle-même native de Naples (comme Paolo Sorrentino), se confie : « Je pense que ce film est avant tout une ode à la liberté. Le portrait d’une femme libre, sans jugement. La liberté de parler de sensualité, de désir et de beauté par exemple. Aussi une manière de chercher, pour Paolo, à travers un personnage qui est complètement différent de lui, des réponses aux questions qu’il se pose. Mais sans forcément affirmer ses réponses. Et puis c’est aussi un portrait de la ville de Naples, qui reste un de ses sujets favoris à travers quelques-uns de ses films. En lien avec ce personnage mythique de la sirène qui n’accepte pas que les hommes aiment son chant, et qui met fin à ses jours par désespoir. »
Tourné en permanence à deux caméras (Arri Alexa 35 et optiques Arri Signature Primes), l’équipe s’est d’abord installée dans la grande maison qui sert de décor principal au personnage de Parthénope.
« C’était une volonté de Paolo. Commencer par ce décor, notamment pour mettre en confiance notre jeune comédienne », explique Daria. « C’était un décor réel situé au bord de la mer, très difficile à éclairer depuis l’extérieur. Le choix a donc été fait de tourner essentiellement en lumière naturelle, en s’adaptant surtout au niveau du plan de travail aux entrées du soleil de cette fin d’hiver avec l’assistant réalisateur. Mais le film regorge de décors différents, et nous avons dû beaucoup bouger d’un endroit à l’autre, notamment dans la ville. Par exemple, la séquence du miracle, dans l’église, a dû être entièrement tournée de nuit pour que je puisse mieux contrôler la lumière. Une difficulté pour la figuration, et d’une manière générale pour l’équipe, mais qui finalement nous a bien été utile pour l’ambiance, et aussi pour la température. Cette décision de tourner de nuit nous permettant de bénéficier d’une climatisation naturelle très agréable comparé à ce qu’on aurait pu endurer en pleine journée du mois de mai à Naples. Et puis il y a eu aussi toute la partie sur l’île de Capri, parfois dans des endroits vraiment difficiles d’accès, comme cette séquence de pique-nique nocturne qui a été encore un autre défi à mettre en image. Là, j’ai décidé d’utiliser, par exemple, les projecteurs DeSisti mis au point par Vittorio Storaro (les Muses of Light). Des sources LEDs qu’on ne peut vraiment pas qualifier de légères... mais qui ont l’avantage de fonctionner sur des solutions d’alimentation batterie plutôt raisonnables, ce qui est un plus quand on ne veut plus s’encombrer avec un groupe diesel polluant. Il faut quand même ne pas hésiter à les placer très loin, car elles sont très difficiles à maîtriser en termes de faisceau. Ces précautions prises, je trouve que ce sont des projecteurs fascinants et dont la lumière en extérieur nuit fonctionne par exemple très bien sur cette scène. En choisissant d’éclairer sans doute un petit peu plus que d’habitude. Le personnage masculin jouant un peu comme une sorte de propriétaire du lieu, la lumière traduisant cette espèce de boulimie des riches à tout approprier, et notamment la nature. »
Questionnée sur la manière de travailler avec Paolo Sorrentino (qu’elle connaît depuis presque vingt ans), la directrice de la photo explique :
« Quand on tourne avec Paolo, il faut être prêt à tout à la caméra. C’est dans l’heure qui suit son arrivée sur le plateau que les choses se décident. Il faut alors se débrouiller en amont avec quelques choix techniques pour lui laisser le maximum de liberté et pouvoir tourner plus ou moins sur 360°. »
Profitant des nouvelles fonctions proposées par l’Alexa 35, Daria D’Antonio a décidé d’avoir recours aux textures Arri, implémentées en amont de l’enregistrement RAW, et permettant d’affiner certains paramètres de rendu, comme notamment la définition sur les peaux. « À la suite de tests avec Céleste, j’ai décidé d’utiliser le préréglage de texture Cosmetic qu’offre Arri sur l’Alexa 35. Un réglage assez doux, qui joue sur le rendu de la peau mais sans non plus la transformer en une espèce de madone dont le visage aurait été retouché. L’idée pour le personnage de Parthénope était vraiment de l’ancrer dans la réalité. Une incarnation de la beauté certes, mais pas la perfection. Une beauté authentique. »
Interrogée sur qu’elle a appris de ce tournage, la directrice de la photographie répond instantanément : « Tourner sur l’eau !... J’ai appris qu’il faut beaucoup de patience quand on se lance là-dedans ! En outre, Paolo a insisté sur ce film pour pouvoir faire tout le temps beaucoup de mouvements de caméra avant sur les comédiens. Pour s’en sortir, on a mis au point une petite plateforme caméra flottante avec l’équipe machinerie. Un zodiac étant solidaire de cette dernière pour pouvoir la diriger et nous permettre d’effectuer les avancées sur les comédiens. Ce genre de plan est vraiment extrêmement dur à caler, complètement dépendant des courants, surtout quand comme nous, on ne tourne pas protégés par une crique ou un port. C’est là où la patience est capitale ! »
Nouvelle venue à l’AFC, on en a aussi profité pour savoir ce que représente l’association vue de l’autre côté des Alpes...
« Je suis très heureuse en Italie, mais j’aimerais quand même pouvoir travailler parfois en France... Il y a aussi certains trajets féminins à l’AFC qui comptent pour moi, presque de manière mythique comme ceux d’Agnès Godard ou de Caroline Champetier. Tout ça forme peut-être une sorte de romantisme, surtout quand moi, en Italie, je me sentais un peu seule en tant que femme directrice de la photographie. Et puis l’AFC, pour moi, c’est une communauté extrêmement forte et dynamique dans laquelle j’ai toujours trouvé une écoute attentive et de qualité. Ça me plaît, beaucoup. On y parle fondamentalement de cinéma, et d’art et d’humains plus que de technique il me semble. »
(Propos recueillis pas François Reumont pour l’AFC)