Entretien avec Fiona Braillon, SBC, à propos de "Mon légionnaire", de Rachel Lang

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C’est avec Rachel Lang, réalisatrice belge, que la directrice de la photo Fiona Braillon, SBC, débute sa carrière à l’image. Sorties toutes les deux de l’IAD, (Institut des arts de la diffusion) en 2010, Fiona Braillon signe en 2016 l’image du premier film de Rachel Lang, Baden Baden puis, quatre ans plus tard, celle de Mon légionnaire. Ce film est en sélection à la Quinzaine des Réalisateurs de cette 74e édition du Festival de Cannes. (BB)

Des familles et des couples sont confrontés à la dure réalité de la Légion étrangère. Ces couples se construisent parfois en territoire hostile : les hommes se battent pour la France et leurs femmes luttent pour garder leur amour bien vivant.
Avec Louis Garrel, Camille Cottin, Alexander Kuznetsov, Ina Marija Bartaité.

Une expérience atypique pour un film qui sonne juste

Fiona Braillon : Rachel Lang s’est engagée dans la réserve opérationnelle de l’armée de terre à 20 ans alors qu’elle était en faculté de philosophie. De cette expérience, elle a nourri l’écriture de son premier court métrage, Pour toi je ferai bataille, 1er film d’une trilogie sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Après l’école de cinéma, elle réalise un court métrage Les navets blancs empêchent de dormir puis un premier long métrage Baden Baden.
Pour écrire Mon légionnaire, elle a rencontré régulièrement les femmes de légionnaires à Calvi en Corse.
Ce sont les petites choses du quotidien des hommes en mission, la lessive, la toilette, l’attente, les installations pour dormir, pour se protéger du soleil ou de la chaleur qui intéressent Rachel, pas la situation de guerre en soit.

Photo Benoît Delfosse


La préparation fait tout…

FB : Je n’aime pas beaucoup enchaîner les films comme j’ai pu le faire auparavant. Avoir le temps de s’immerger dans une histoire, dans un univers, rencontrer les gens avec qui je vais travailler très en amont, tout ce temps d’immersion permet de construire un univers commun. Ensuite, sur le plateau, quand il faut aller vite, faire des choix rapidement, j’ai des réflexes non pas liés à ma façon de faire, à mes habitudes, mais liés à l’univers du film. Avec Rachel, c’est un peu particulier, c’est le quatrième film que l’on fait ensemble, nous nous connaissons bien. Nous avons besoin de moins en moins de mots pour nous comprendre. Pour Mon légionnaire, nous avons fait le découpage un an avant le tournage. Le découpage ne constitue qu’une base solide sur laquelle se reposer mais on peut complètement s’en écarter aussi. Celui-ci a évolué aux repérages car avec Rachel de nouvelles idées arrivent lorsque l’on choisit les lieux et il a encore évolué au tournage.

Deux mondes opposés, deux univers visuels

FB : Nous avons tourné en Corse et au Maroc. La Corse, c’est là où résident les femmes des soldats. Étant donné le contexte géopolitique, il n’était pas possible de tourner au Mali, nous avons donc situé les scènes racontant la mission des hommes au Mali en tournant au Maroc. Nous voulions que du côté des femmes ce soit coloré, que Nika (Ina Marija Bartaité) soit vivante, qu’on sente l’unité du groupe, de ces femmes obligées de vivre ensemble. Une grande partie de la Corse est filmée avec une caméra sur pied pour avoir une sensation plus installée, plus stable, plus solide.

© BAC Films


Photo Benoît Delfosse


Au Maroc, nous cherchions à raconter la solitude et l’isolement des hommes, ils semblent être en groupe mais finalement ils sont tout seuls. Nous voulions une image monochrome, les décors, les costumes ont été travaillés dans ce sens-là. Le jaune du sable contraste avec le bleu du ciel. Cette partie est tournée essentiellement à l’épaule pour retranscrire la fragilité des hommes.
La Légion étrangère a refusé qu’on tourne à Calvi, une station balnéaire, lieu de "stationnement" des régiments de la Légion étrangère. Peut-être que le film est trop critique à son égard… On a donc tourné à Saint-Florent, une ville de montagne et, finalement, ce lieu donne plus de caractère à l’image, suggère l’idée d’enfermement des femmes sur cette île.

Photo Benoît Delfosse


Les scènes dans le désert, le soleil, la poussière et la texture de l’image

FB : Nous devions tourner une séquence de brief qui se déroule pendant le lever du jour. C’était plus simple de tourner au coucher du soleil. Tous les plans ont été préparés en amont, nous avons répété pendant deux heures pour pouvoir tourner les sept plans en quarante minutes. Puis il y a eu un travail important à l’étalonnage pour montrer l’évolution du soleil qui se lève.

Photo Benoît Delfosse


Pour une autre scène, cette fois-ci de nuit, les phares des véhicules éclairaient les personnages. J’ai renforcé cet effet avec des Mandarines et des PAR. Nous avions peu de puissance sur le plateau. L’idée du tournage au Maroc était d’être très léger, j’avais deux SL1 sur batteries, des néons et des lampes de poche.
Par ailleurs, j’ai tourné en Alexa pour sa texture que j’apprécie et je l’ai utilisée à 1 600 ISO pour la partie marocaine, pour récupérer le "grain" et avoir une autre texture. J’ai filtré les scènes de jour avec des Glimmer et avec les Black Promist pour les nuits dans le désert.

Le choix des optiques pour une image réaliste

FB : Je n’ai pas d’a priori sur les optiques, j’aime les choisir en fonction du film. Je fais des essais d’optiques pour chaque film. Au moment des tests, j’ai essayé des optiques plus rondes et douces comme les Baltar, les Cooke, mais aussi les Leica R. Rachel a préféré les Leica R pour leur restitution très droite, sans artifice. Nous avons finalement pris six optiques Summilux de Leitz (monture PL) car les Leica R n’étaient pas en monture PL et que la série n’avait pas toutes les focales nécessaires pour le film. Il aurait fallu matcher les deux séries mais nous n’aurions pas eu le temps de changer de monture au moment du tournage.

L’étalonneur, le peintre de la narration

FB : Nous avons étalonné avec un grand nom de l’étalonnage en Belgique, Peter Bernaers. Il travaille sur l’image par touche, comme un peintre, en étant très sensible à la narration du film. Nous étions très attentifs et exigeants sur la texture de l’image. Bien que je préfère faire le maximum de choix au moment du tournage, l’étalonnage est un moment important pour la perception globale de l’image du film, c’est pourquoi je suis sensible à la personne qui étalonne avec moi et il est important que l’on ait une vision commune.

Propos recueillis par Brigitte Barbier, pour l’AFC