Entretien avec Joséphine Derobe, stéréographe

La Lettre AFC n°219

Joséphine Derobe est stéréographe depuis sept ans. Elle dit malicieusement : « Tout le monde pense que je suis tombée dans la potion magique de la stéréoscopie depuis mon enfance mais pas du tout ! ». Elle a fait des études de journalisme presse écrite puis a été reporter et photographe. Elle ne connaissait pas le métier de son père car à la maison, « il était taciturne et secret ». Et puis un jour, il a eu besoin d’une 2e assistante photo à la dernière minute pour un projet d’AmaK Studio.

« C’est sur ce tournage que je suis tombée en amour du relief et ai été séduite par l’esprit d’une équipe de tournage. J’ai donc changé de voie. J’ai appris le métier de stéréographe aux côtés d’Alain et commencé à écrire en 3D il y a trois ans. J’ai réalisé un premier court métrage* en 2010 et j’en prépare un second cette année. Ecrire en intégrant la notion d’espace est très intéressant car la finalité de cet outil technique est bien une expression artistique et c’est ce que beaucoup de gens ont tendance à oublier.

Faire un film en 3D n’est pas réaliser un film 2D avec une caméra supplémentaire, le relief est vraiment un autre langage et ça, Wim Wenders l’a merveilleusement montré. Actuellement, comme la diffusion des films est simultanément 2D et 3D, nous travaillons souvent sur des projets qui ont été écrits initialement en 2D ; c’est un challenge mais cela peut donner un film très intéressant lorsque le réalisateur et le chef opérateur intègrent la grammaire 3D dans leur façon de travailler, comme cela a été le cas sur Astérix au service de sa Majesté, de Laurent Tirard. Par contre, ne pas s’intéresser aux différences de langage engendre malheureusement un film décevant pour les spectateurs car on se prive des nombreuses qualités de ce médium : immersif, émotionnel plus la formidable opportunité qu’il nous offre de travailler sur la scénographie. On a un espace à habiter avec les décors et les personnages, en cela, la 3D nous place entre le théâtre et le cinéma. »

Peux-tu dire aujourd’hui ce qu’Alain t’a transmis de cette passion et de cet outil qu’est le relief ?

Je dirais en premier lieu l’amour du cinéma et le fait d’utiliser la technique à des fins artistiques. Oui, c’est un grand technicien, il avait de nombreuses cordes à son arc : scientifique, optique, ingénierie... mais il avait surtout une vision d’ensemble d’un film. Ce qui me passionne, c’est de pouvoir explorer les codes de la mise en scène 3D, de voir de quelle façon ça influence l’écriture, le cadrage, le montage, jusqu’à l’étalonnage. Il y a tant de choses à découvrir, à expérimenter. Le challenge est là... C’est ce qui me semble primordial, ce n’est pas parce qu’on est capable de faire du bon relief plan après plan qu’on obtiendra un bon film 3D. Il faut être capable de proposer un relief d’abord confortable pour le spectateur et ensuite cohérent sur la durée du film.

En cela, c’est une véritable chance d’avoir appris avec lui. Nous sommes quatre à avoir partagé cet apprentissage. Nous avons créé une société, La Fabrique 3D, juste avant qu’Alain décède, avec Jean Chesneau, Thierry Pouffary, Hugo Barbier et moi-même. Nous sommes tous stéréographes, avec chacun des spécificités allant de la préparation mise en scène à l’étalonnage, en passant par la prise de vues et la postproduction. L’idée était de réunir ce petit noyau, de pouvoir travailler sur nos propres projets, tout en gardant cette identité forte insufflée par Alain. Car le stéréographe se doit de faire le lien entre la technique et l’artistique, c’est un travail d’artisan. C’est en cela qu’Alain était farouchement opposé aux propositions de solutions d’ajustements stéréoscopiques semi-automatiques ou automatiques puisqu’une machine ne pourra jamais intégrer la notion d’interprétation artistique.

La méthode qu’il a développée et que nous enrichissons au fur et à mesure des tournages s’appelle Natural Depth. Il ne souhaitait pas qu’on puisse rallier sa vision du relief à une méthode dite " Derobe ", ou " française convergente ", en opposition à une méthode américaine. Ce n’est pas uniquement une méthode qui fait sa différence ; c’est une philosophie.

Son livre ne traite pas seulement de la prise de vues stéréoscopique, il essayait de percer le secret de la façon dont nous percevons le monde et l’écran. Et comprendre comment nous arrivons, de façon incongrue, à percevoir du volume à partir de deux images plates ! Une hérésie ? Ça lui ressemblait bien ».

* Journal d’un frigo, une tranche de vie de famille (la mienne !) vu par le frigo... (Pixillation, 3D)

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)