Entretien avec Marc Galerne (K5600)

par Matthieu Poirot-Delpech

La Lettre AFC n°202

K5600, fondé en 1992, se consacre au développement de projecteurs HMI. Les gammes Joker (200, 400 et 800 W) et Alpha (18 kW, 4 kW et prochainement 1 600 W) ont fait la renommée de cette société dirigée par Marc Galerne.
Marc Galerne, flanqué d'un Alpha 18, présente le nouvel Alpha 1 600 - Photo Matthieu Poirot-Delpech
Marc Galerne, flanqué d’un Alpha 18, présente le nouvel Alpha 1 600
Photo Matthieu Poirot-Delpech

Comment définirais-tu la singularité des produits K5600 ?

Marc Galerne : Polyvalents, compacts et légers. Lorsque nous avons entrepris de créer K5600, nous voulions nous différencier des sociétés existantes qui proposent tous les types de sources dans toutes les puissances en introduisant des appareils originaux. Nous avons décidé de faire exclusivement des HMI en raison de l’efficacité lumineuse de ces lampes qui reste encore aujourd’hui inégalée.
Dès lors, nous avons tenté de " revisiter " les types de projecteurs existants afin de leur apporter une grande polyvalence. C’est en totale liberté que nous avons pu créer notre propre gamme avec un seul objectif : faire des projecteurs d’utilisateurs.

De quelle manière l’évolution de l’économie des films influe-t-elle sur tes choix techniques ?

MG : Chaque appareil que nous développons tient compte de la réalité économique de la production. Le constat est simple : le besoin d’images est de plus en plus important mais avec des moyens financiers et humains et des durées de tournages de plus en plus restreints. Les outils de production, qu’ils soient caméra, machinerie ou lumière, se doivent de s’adapter afin de répondre à ces nouvelles contraintes.
Nous avons donc concentré nos efforts sur la versatilité, la taille et le poids des produits sans faire de compromis sur la qualité de la lumière ou la robustesse des appareils. Nous devons tenter de satisfaire tout le monde, de l’utilisateur au loueur.

Les produits K5600 sont généralement plus chers que les appareils concurrents, et notamment des appareils chinois dont on a vu une présence massive à IBC, comment peux-tu expliquer cela ?

MG : Le prix n’est pas une finalité en soit. La qualité a un coût : nous nous devons d’avoir du stock, d’être réactifs sur le SAV, d’employer des matériaux de qualité. Nous ne travaillons pas dans un souci d’économie à tout prix. Plus de 75 % de nos clients, qu’ils soient loueurs ou " free lance " (surtout à l’étranger), génèrent de l’argent avec nos produits.
Ce qui est important, c’est la rapidité d’amortissement des appareils. S’il faut 230 jours pour absorber le coût d’un projecteur au lieu de 200 jours parce que la différence de prix d’achat est de 15 %, cela ne me paraît pas insurmontable si, et seulement si, les appareils sont régulièrement loués et qu’ils le sont longtemps. _ A nous de faire que nos appareils soient demandés par les chefs opérateurs et les équipes d’électriciens. En créant de nouveaux accessoires, nous contribuons à rendre nos produits " louables " plus longtemps. Faire connaître un produit est coûteux : il faut faire de nombreux salons, adhérer à des associations professionnelles telles que l’AFC, Imago, BVK, AIC...
Des frais que les dizaines de fabricants chinois, qui produisent des copies des appareils existants, ne subissent pas. Ils ne paient pas de droits d’entrée et ne soutiennent pas notre corporation. Ce ne sont pas les appareils " cheap " qui vont relever la situation économique des prestataires. Si ce n’est pas cher à l’achat, cela ne se louera pas cher. L’avenir de la prestation de qualité ne se fera pas avec les DSLR, mais avec des caméras qui possèdent une vraie valeur ajoutée et donc apportent de réelles solutions adaptées aux impératifs des tournages actuels.

Les projecteurs se conçoivent habituellement autour d’une lampe. Quels sont tes rapports avec les fabricants ? Dans quelle mesure peux-tu influencer leurs choix ?

MG : Il est vrai que nous sommes parfois dans l’obligation de faire appel aux fabricants de lampes pour des projets spécifiques. C’est une démarche difficile et qui n’est pas sans risque. Les clients sont souvent méfiants des nouvelles puissances. Cela implique de nouveaux ballasts, une nouvelle référence de lampe dans un stock déjà conséquent.
Dans le cas de la 800 W par exemple, SLI (Sylvania) nous avait demandé si nous avions un besoin pour une nouvelle lampe. Nous avions une demande des utilisateurs pour un Joker Bug plus puissant que le 400. La 1 200 MSR ne convenait pas car elle perdait considérablement de durée de vie lorsqu’elle était en Bug (enfermée dans un globe en verre). La solution était d’avoir une lampe avec un traitement anti-UV. Le danger d’avoir 2 lampes similaires en taille et en culot de la même puissance est qu’elles peuvent être utilisées par erreur.
Nous avons donc demandé une lampe anti-UV d’une puissance qui n’existait pas sur le marché. 800 W était une puissance intéressante car elle apportait une cohérence supplémentaire à la gamme : un diaph entre chaque puissance. Nous sommes en train de faire la même chose avec le nouvel Alpha 1 600 W que nous avons montré au Cinec. Cette fois-ci, G.E. a décidé de jouer le jeu avec nous pour une lampe en G22 avec un traitement UV.

Penses-tu qu’il existe une " philosophie " particulière aux outils français ?

MG : Il est effectivement intéressant de voir que les fabricants français dans notre métier ont quelques similitudes dans la conception des outils. Je ne sais pas si l’on peut parler d’une philosophie car cela impliquerait quelque chose de réfléchi, voire partagé, entre les fabricants français. Je pense que cela vient de la façon de travailler en étroite collaboration avec les utilisateurs en écoutant leurs idées, leurs critiques.
Cela donne généralement des appareils " tout terrain ", qui conviennent pour les tournages " légers " aussi bien que pour les productions plus lourdes. Nous rejoignons Aaton dans cette démarche. Je pense que les fabricants français sont focalisés sur un type de produits. Ils sont spécialisés : Transvideo dans les moniteurs, Angénieux dans les optiques, Loumasystems dans le " grip ". On ne retrouve pas chez nous des sociétés qui touchent à tout. Il y a peut-être quelque part, et sans concertation, un savoir-faire français.

Le produit dont tu es le plus fier…

MG : Difficile à dire. Le Joker-Bug est notre fer de lance. L’addition régulière de nouveaux accessoires en fait un appareil indémodable. Nous venons de présenter à IBC, Cinec et la Photokina deux nouveaux accessoires : le Big-Eye et un adaptateur pour les accessoires de flash. Le Big-Eye est un système démontable composé d’une lentille de 18 kW (625 mm) en polymère derrière laquelle on peut monter et focaliser un 200, un 400 ou un 800.
Notre plus grande fierté, c’est que nous ne nous sommes pas trompés sur notre politique de développement. La crise mondiale dont nous sortons à peine nous a confortés dans nos choix. Les listes de matériel ont diminué mais nos appareils sont restés.

Quelles sont les perspectives des sources à faible consommation ?

MG : Le côté économie d’énergie est un critère non négligeable dans le développement à moyen terme de l’éclairage pour la prise de vues. Le HMI reste encore la source la plus efficace avec un rendement de 80 à 100 lm/W selon les puissances. Il est évident qu’il y a une tendance à utiliser des projecteurs de petites et moyennes puissances afin de limiter le recours aux groupes électrogènes.
La sensibilité des capteurs permet de plus en plus cette démarche. Les grandes causes qui fonctionnent le mieux sont celles qui vont dans le sens du profit et de l’économie. Si les productions ont la possibilité d’être " green " et de réduire leur facture, ils vont devenir très respectueux de la planète. Donc, oui, les perspectives sont là pour les sources à consommation faible.

Peut-on envisager de remplacer un jour les sources à incandescence ? Quelles sont les alternatives à 3 200 Kelvin ?

MG : Probablement. Je ne suis pas devin mais c’est inévitable. L’incandescence, en dépit de ses qualités indéniables, est la source la moins efficace avec 25 lm/W. Je ne pense pas que nous nous retrouverons dans une situation d’interdiction mais plutôt de découragement progressif. Difficile d’interdire une source qui n’a pas encore d’équivalence valable mais de nouvelles taxes écologiques viendront gonfler le prix de ces lampes et peut-être aussi des malus sur les gros consommateurs d’électricité comme les studios qui devront répercuter ces taxes sur le prix du kW.
En conséquence, des fabricants de lampes tourneront le dos à cette technologie devenue coûteuse et impopulaire. Une inflation du prix de ces lampes remettra en question les choix de sources et il deviendra envisageable d’utiliser des technologies jugées trop chères aujourd’hui. Des compromis techniques et artistiques seront peut-être nécessaires.

(Propos recueillis par Matthieu Poirot-Delpech)