Entretien avec le directeur de la photographie Georges Lechaptois à propos de son travail sur "Los Perros", de Marcela Said

C’est avec Rebecca Zlotowski, Alice Winoccour et Antoine Desrosières que le directeur de la photographie Georges Lechaptois collabore fidèlement depuis une dizaine d’années. Cheminant depuis son arrivée en France à la fin des années 80 entre la publicité, le documentaire et la fiction, ce directeur de la photo chilien retrouve les couleurs de son pays en signant l’image du film de Marcela Said, Los Perros, tourné à Santiago et sélectionné à la Semaine de la Critique dans le cadre du Festival de Cannes 2017. L’Eté des poissons volants, le premier long métrage de cette jeune réalisatrice chilienne, avait été sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2013. (BB)

Mariana (42 ans) fait partie de cette bourgeoisie chilienne sûre de ses privilèges. Méprisée par son père et son mari, elle éprouve une étrange attirance envers son professeur d’équitation, Juan (60 ans), un ex-colonel suspecté d’exactions pendant la dictature. Mais cette liaison réprouvée ébranle les murs invisibles qui protègent sa famille du passé.
Avec Antonia Zegers, Alfredo Castro, Rafael Spregelburd.

La rencontre
J’étalonnais le film Planetarium, de Rebecca Zlotowski, avec Isabelle Julien lorsque cette dernière me parle de Marcela Said qui cherche un opérateur pour Los Perros, son prochain long métrage. Le scénario, inspiré d’histoires réelles et pointant du doigt l’implication de civils pendant la dictature, me plaît. Marcela connaît bien le sujet, elle a tourné des documentaires dont I Love Pinochet et El mocito.

Des images sombres au soleil
En préparation, Marcela me confie qu’elle aime les images sombres et quand il n’y a pas de soleil. A Santiago du Chili en octobre, la lumière est très forte, quand le soleil apparaît de derrière la Cordillère, c’est éblouissant. Il faut donc essayer de tourner pendant les heures sans soleil, mais ce n’est pas évident…, surtout lorsqu’on a seulement 32 jours de tournage.

Pas de pied et trois optiques
La caméra vient de France, une Arri Alexa avec trois optiques anamorphiques Technovision, un 50, un 85 et un 100 mm. C’est surtout le 85 mm qui sera utilisé. De toute façon on peut très bien faire tout un film avec une seule optique. Tout est tourné à l’épaule, il n’y a même pas de pied dans le camion.

Découpage simple, lumière simple
La plupart des plans sont des plans larges, des plans-séquences avec les situations qui se déroulent à l’intérieur. Très peu de champs-contrechamps et des scènes qui durent longtemps.
Les extérieurs ne sont presque jamais rééclairés, nous plaçons simplement quelques cadres de diffusion. De toute façon, c’est difficile d’éclairer les chevaux, ils ont peur et il y a beaucoup de plans qui couvrent les 180°.

Pratique chilienne
Le matériel d’éclairage et les accessoires de machinerie tels que les cubes devaient être commandés précisément. Un responsable technique gère le matériel, organise les besoins techniques et le personnel. Tous les jours, je devais préciser mes besoins. Il fallait être très précis : un jour, j’ai demandé deux polys mais il n’y en avait qu’un… Parce que je n’en avais pas demandé deux… La priorité est donnée aux tournages de pub et de télévision. Pour les longs métrages, on passe après… Et le matériel est plus cher au Chili qu’en France.

Unité de couleur
Toute l’équipe déco est chilienne. Les choix de couleurs sont guidés par les couleurs imposées par la nature. A cette saison - le printemps - on trouve du marron avec la terre, du vert un peu sombre dans la montagne. Du marron encore avec les chevaux et le cuir des selles. Résultat : pas de couleurs chaudes dans les décors et les costumes, seulement du vert et du bleu.

Le choix du RAW
C’est possible de choisir de tourner en RAW seulement si on est certain de travailler avec une bonne postproduction. Les chiliens n’étaient pas du tout partants, ils n’ont pas l’habitude de tourner en RAW. J’ai préféré tourner en RAW pour ce film car je pouvais mélanger le RAW et les métadonnées pour remonter facilement le niveau sans montée de bruit et choisir la couleur du noir ou du blanc.

Choisir les températures de couleur
La caméra est réglée à 2 800 K et non pas à 3 200 K en lumière artificielle pour que ce soit un peu moins chaud. Je trouve qu’en numérique, plus l’image est chaude et moins elle est intéressante. Idem, en jour, je la prends à 5 000 K au lieu de 5 600 K. Pour la sensibilité, je préfère aller dans des sensibilités plus élevées.

S’adapter et trouver des solutions
Quand on tourne avec rien, il faut gérer les décors, le temps, les horaires. Il faut être rapide pour profiter du soleil qui se couche, choisir les meilleurs moments pour filmer. Quand on n’a pas de quoi augmenter le niveau à l’intérieur par rapport à l’extérieur, il faut trouver d’autres solutions. Par exemple, le décor d’appartement du père exposé plein nord (nous sommes dans l’hémisphère sud) m’a posé beaucoup de problèmes : une grande baie vitrée, une journée de soleil très polluée dans une séquence extérieur/intérieur. Et nous ne pouvions pas changer les horaires…

Conclusion
J’ai été ravi de tourner au Chili, il y a eu une grande complicité entre les membres de l’équipe, des personnes très solidaires, toutes très engagées dans le film derrière Marcela. Un appétit de cinéma.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)

Dans le portfolio ci-dessous, trois photogrammes tirés du film.