Entretien avec le directeur de la photographie Glynn Speeckaert, AFC, SBC, ASC, à propos de "La Promesse de l’aube", d’Eric Barbier

Glynn Speeckaert filme Romain Gary, par François Reumont pour l’AFC

AFC newsletter n°281

Le cinéaste Éric Barbier est principalement connu pour son premier long métrage en 1990, Le Brasier, entré jadis dans l’histoire du cinéma hexagonal comme le premier à dépasser les 100 millions de francs de budget. Un échec retentissant en salles – mais qui révéla alors le travail de Thierry Arbogast, AFC, avant qu’il ne connaisse la consécration aux côtés de Luc Besson. Éric Barbier revient donc à ses amours pour le cinéma épique après 25 ans de purgatoire (et deux thrillers). Un nouveau film ambitieux adapté du roman autobiographique de Romain Gary. Glynn Speeckaert AFC, SBC, ASC l’a accompagné sur cette coproduction franco-belge, italienne et hongroise annoncée à 20 millions d’euros. Soit 132 millions de francs ! (FR)
Eric Barbier et Glynn Speeckaert sur le tournage de "La Promesse de l'aube" - Photo Julien Panié
Eric Barbier et Glynn Speeckaert sur le tournage de "La Promesse de l’aube"
Photo Julien Panié

Connaissiez-vous ce livre mythique ?

Glynn Speeckaert : Étant belge flamand, je ne suis peut-être pas comme tous les élèves français qui, à un moment ou à un autre, au collège ou au lycée, ont lu ou étudié Romain Gary. Personnellement, je n’avais jamais lu La Promesse de l’aube et quand Éric Barbier est venu me proposer le film, j’ai même volontairement décidé de ne pas le lire pour conserver cette sorte de fraîcheur par rapport au scénario.
Peut-être aussi éviter cette frustration que l’on a à la lecture de grands romans de ne pas pouvoir tout mettre dans le film... En tout cas, maintenant qu’il est achevé, je vais patienter pour le voir en salles et je vais enfin lire le livre !

Comment avez-vous visualisé le script ?

GS : J’ai tout de suite identifié plusieurs grandes parties dans le film en termes d’image. Le début sous la neige, la Côte d’Azur avec le soleil, le film de guerre – résolument héroïque – et puis le Mexique. Pour ces quatre parties, j’ai décidé avec Eric de travailler très différemment l’image, que ce soit en lumière ou en matière d’objectifs. Par exemple, choisir pour un début du film sans couleur, avec une forte désaturation, en essayant d’éviter au maximum le soleil. Je me souviens notamment avoir utilisé régulièrement deux ballons Airstar "cloud" (des ballons héliums plats Airstar utilisés comme nuages). On a tourné cette partie à Budapest, où, après y avoir fait Marguerite, je commence à avoir mes habitudes !

Les "nuages" d'Airstar en action
Les "nuages" d’Airstar en action

La caméra Arri Alexa (qui venait de Panavision Paris) était alors équipée d’objectifs sphériques Panavision Uncoated qui laissent un peu baver les hautes lumières, et qui ont abouti à cette image froide et douce.

Plan avec un objectif sphérique Panavision Uncoated
Plan avec un objectif sphérique Panavision Uncoated

Comment se répartissent les lieux de tournage ?

GS : La gare de Nice, par exemple, a été recréée à Budapest, tout comme les intérieurs et les parties parisiennes. Seules quelques scènes d’extérieur plage et marché ont été tournées à Nice, tout le reste l’étant soit en Italie près de Bari (pour recréer le Mexique) et finalement au Maroc (près de la frontière algérienne) pendant deux semaines pour les parties africaines consacrées à la guerre.
Pour en revenir aux choix d’images, j’ai changé d’optiques pour la deuxième partie du film, quand ça va un peu mieux pour Romain Gary (Pierre Niney) et sa mère (Charlotte Gainsbourg), notamment à l’arrivée à Nice. On passe alors sur des optiques Panavision série 70, en tournant en mode "open gate" sur l’Alexa. On est sur une image plus contrastée, plus brillante... le soleil et l’espoir réapparaissent.

Plan avec une optique Panavision série 70
Plan avec une optique Panavision série 70

La partie consacrée à la guerre est ensuite tournée en vrai Scope avec la série G, de façon à jouer les flares. Tout le côté plus graphique et héroïque à l’image de cette période. Enfin, pour la dernière partie, je suis retourné aux Panavision 70 mais en prenant presque tout le temps la caméra à l’épaule, ce qui me permet d’aller vers une image un peu plus années 1970, comme la période le suggère.

Plan avec une optique Panavision série G
Plan avec une optique Panavision série G

Quels sont vos retours d’expérience sur le tournage en Hongrie ?

GS : On trouve à Budapest d’excellents techniciens. Mon "gaffer" sur ce film était, par exemple, celui qui avait accompagné Roger Deakins sur Blade Runner 2049. Vous imaginez qu’il savait ce qu’il faisait ! La seule chose vraiment bizarre qu’il m’ait été donné d’observer là-bas, c’est la répartition des tâches dans l’équipe. En effet, si les électros sont bien chargés de faire toute la construction (à la fois installation lumière et machinerie lumineuse), en revanche, ils ne peuvent pas toucher aux lumières de figuration, domaine réservé de l’équipe des effets spéciaux de plateau ! En conséquence, on se retrouve parfois à attendre une pauvre ampoule parce que la personne qui s’en occupe n’est pas là ! Je me souviens notamment dans l’appartement familial qu’on attendait parfois des heures pour que les ampoules du living soient remises en place entre deux sessions sur le décor… Un héritage d’un autre temps j’imagine !

Quelles sources avez-vous utilisées sur ce film ?

GS : C’est la première fois que j’utilise les Arri SkyPanel. Jusqu’alors, j’ai surtout l’habitude d’utiliser des Goya, équipés ou non de Chimera. Bien qu’ils soient un peu lourds à mon goût, je dois avouer que ce sont des machines extrêmement versatiles, dont la capacité en réglage de couleur fait gagner énormément de temps en studio. En intérieur naturel, j’aime beaucoup utiliser aussi les LiteMat de LiteGear, plus légers, que l’on peut facilement placer sur un mur ou sur un plafond. J’espère que LiteGear proposera bientôt une version RGB de ces projecteurs, de manière à atteindre à la fois la souplesse d’un réglage colorimétrique précis et la légèreté de la source.

On parle de plus en plus de transversalité entre le monde du spectacle et celui du cinéma en matière de matériel et d’utilisation des projecteurs... Qu’en pensez-vous ?

GS : Je constate en tout cas que sur certaines pubs que je tourne aux USA, l’opérateur console est parfois mieux payé que le gaffer ! C’est un signe qui ne trompe pas. À la fois, quand on tourne sur une campagne gros budget sur laquelle on ne sait pas exactement où la caméra et les comédiens vont évoluer à la fin, c’est plutôt rassurant de faire une installation totale, puis de gérer la direction et la couleur en direct à partir d’une console.
La seule chose que j’ai remarquée, c’est que ces techniciens lumière qui viennent du spectacle n’ont pas du tout le même rythme que ceux du cinéma. Par exemple, ils ont parfois du mal à accepter le côté très saccadé du travail, les longues périodes d’attente entre deux plans... C’est très différent de l’adrénaline qu’on peut expérimenter ou ressentir en direct quand on manage le "light show" sur un concert ou un spectacle de danse... Le tout est de trouver la bonne personne et surtout de communiquer avec elle !

Assis, Michel Galtier, Glynn Speeckaert et Eric Barbier - Photo Julien Panié
Assis, Michel Galtier, Glynn Speeckaert et Eric Barbier
Photo Julien Panié

Vous aimez beaucoup des optiques Panavision, avez-vous déjà pu tourner avec la caméra Millenium ?

GS : Non, malheureusement... Mais j’ai hâte de pouvoir l’essayer ! Personnellement, j’adore le grand format et j’aurais adoré pouvoir tourner les parties niçoises du film en Arri Alexa 65 si la caméra avait été disponible. Malheureusement il n’y en a que très peu d’exemplaires et je crois qu’à l’époque, ils étaient tous partis sur Okja, de Bong Joon Ho. J’espère pouvoir prochainement utiliser une de ces caméras et tirer parti de ces grands capteurs en alternant les différents modes d’utilisation qu’ils offrent au sein d’un même film.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Décors : Pierre Renson
Costumes : Catherine Bouchard