Entretien avec le directeur de la photographie Michel Amathieu, AFC, à propos de son travail sur "Diplomatie", de Volker Schlöndorff

Paris by Nacht

par Michel Amathieu La Lettre AFC n°248

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A l’occasion de la sélection de Diplomatie, de Volker Schlöndorff, photographié par Michel Amathieu, AFC, dans la section " Panorama Européen " du 22e Festival Camerimage, nous publions ci-dessous un entretien dans lequel le directeur de la photo parle de son travail sur le film, sorti en salles le 5 mars 2014.

Dans un somptueux huis clos adapté d’une pièce de théâtre à succès, Volker Schlöndorff s’attache à dépeindre un portrait humain du maréchal Von Choltitz, l’homme qui a sauvé Paris de la destruction totale dans la nuit historique du 24 au 25 août 1944. Aux commandes de l’image, Michel Amathieu, AFC, qui revient sur ce tournage en studio aux cotés du réalisateur du Tambour et d’un Niels Arestrup en orbite pour les César... (FR)

Comment vous êtes-vous retrouvé sur Diplomatie  ?

Michel Amathieu : J’avais rencontré Volker Schlöndorff il y a quelques années pour son précédent film La Mer à l’aube, mais c’est finalement Lubomir Bakchev, AFC, qui l’avait fait. Sur Diplomatie, le contact s’est organisé en plus via les producteurs de Film Oblige, Marc de Bayser et Franck Le Wita, qui connaissaient bien mon agent Salite Cymbler.
Malgré le budget du film et la courte durée du tournage, 24 jours, la collaboration avec la production s’est faite dans une excellente ambiance et une vraie complicité, afin d’apporter le plus possible aux demandes de Volker. Que ce soit le respect absolu du personnel ou des conditions de travail, j’ai rarement connu une telle élégance sur un film. Je souhaite aussi citer Jean-Christophe Cardineau, le directeur de production avec qui l’équipe entière avait d’excellentes relations.

Où avez-vous tourné ?

MA : Aux studios de Stains, un endroit où j’aime travailler. Jacques Rouxel, le chef décorateur, y a recréé la suite de l’hôtel Meurice, dans laquelle se déroule la majorité de l’histoire, mais aussi des couloirs et quelques autres pièces supplémentaires. Pour ce décor principal, on a beaucoup discuté sur la tonalité des murs, et on a abouti à ce bleu-vert assez dense, qui vit en contrepoint avec les dorures du mobilier… En harmonie avec également l’uniforme nazi porté par Niels Arestrup. Cette couleur m’a beaucoup plu, car en ambiance nuit, avec les lumières du décor, elle passe à l’écran pour un vert assez chaud.
En revanche, au fur et à mesure que le jour se lève et que la lumière solaire envahie la pièce, cette couleur migre vers le bleu. Ceci nous a permis de faire vivre le décor avec le temps qui passe dans ce huis clos, de la nuit au jour. Lier une évolution de lumière avec le changement de tonalité du décor.

Parlez-nous un peu plus de ce long passage de la nuit au jour, qui est au cœur de votre travail d’image sur ce film...

MA : Cette évolution suit le texte. Le personnage de Nordling (André Dussolier) évoque la nuit, puis les premières lueurs de l’aube et le lever du soleil sur la capitale et ses monuments... Volker a donc intégré cela dans la mise en scène. Dans la nuit, les sources de lumière de la suite, qui donnent une ambiance assez dorée, vacillent à cause des combats. Alternant avec les " lumières de secours " sur générateur au milieu de ce décor de palace. Quand le jour se lève, Volker a souhaité que ces " services " restent allumés, et le soleil rentre peu à peu dans la pièce... Ça donne un coté un peu fin de nuit blanche.
Mais ce travail sur les changements de la lumière tout au long du film s’est aussi décliné à l’échelle de simples scènes. Il y a par exemple l’apparition du consul au moment d’une coupure totale d’électricité, ou bien sur des choses plus subtiles, plus tard, quand Nordling semble prendre un peu l’ascendant sur Choltitz, pour ensuite reculer immédiatement dans la négociation...

Ce qui est passionnant, c’est de travailler avec un réalisateur comme Volker qui adore littéralement le travail de la lumière. Sur certaines scènes, il n’a pas hésité par exemple à me demander des ambiances encore plus sombres que ce que je faisais... et qui étaient déjà très denses !
Pour le traitement des découvertes, Volker, avec son immense expérience, souhaitait plus au départ des fonds peints, plus abstraits, qu’il voulait également faire évoluer avec le lever du jour. Finalement j’ai insisté pour faire tout en fond bleu, avec des photos numériques qui à mon sens sont maintenant beaucoup plus faciles à gérer que les tirages grands formats ou les peintures en arrière-plan. Cette technique n’était pas celle qui mettait Volker le plus à l’aise au départ, mais peu à peu j’ai réussi à le convaincre de ce choix ; comme dans cette séquence au lever du soleil avec les personnages juste devant le balcon, au cours de laquelle André Dussollier vient ouvrir les persiennes.
Ces découvertes en numérique donnaient aussi plus de liberté pour l’évolution du lever du jour sur Paris et nous permettaient de sentir cette présence des bâtiments évoqués dans les dialogues et supposés être détruits. J’ai beaucoup aimé le travail avec l’équipe des effets spéciaux numériques de Pixomondo, en Allemagne.

Le film est tourné en Red Epic. Expliquez-nous ce choix.

MA : Je me sens plus à l’aise avec la RED Epic que d’autres caméras numériques. C’est un peu comme les pellicules qu’on préférait à d’autres... Maintenant, j’utilise de plus en plus la RED Dragon, qui est encore meilleure, pour ce que je cherche. Sur ce film, on a tourné avec une série Cooke S4.
Le film a été tourné en 24 jours, ce qui est plutôt court. D’autant plus qu’on a filmé trois jours en extérieur une séquence d’ouverture contemporaine qui finalement a été coupée au montage.
Nous avions décidé avec Volker de faire beaucoup de plans séquences pour ne pas interrompre les acteurs et laisser plus de liberté à leur jeu.
J’ai beaucoup utilisé le bras Aérocrane et nous avons mis une deuxième caméra le plus souvent possible. Pour tous ces mouvements de caméra, j’ai beaucoup apprécié la concentration et la précision de Laurent Duquesnoy, chef machiniste.

Quels projecteurs avez-vous majoritairement utilisés ?

MA : Je n’ai utilisé que des lampes tungstène, Fresnel, lucioles et Chimera (et des tubes fluorescents pour les fonds bleus). Pour les scènes de jour, je n’ai pas utilisé de HMI, suivant les conseils de Christophe Dural, mon chef électricien. En effet, gérer une installation double de projecteurs tungstène et HMI nous aurait donné beaucoup de travail par rapport à la petite équipe qu’on était et coûtait trop cher. Les changements de teintes sont, comme d’habitude, faits au tournage avec les gélatines colorées pour les projecteurs.

Un mot sur l’étalonnage ?

MA : Le film a été étalonné chez Digimage. J’insiste désormais pour que ce soit la même personne qui s’occupe des rushes, puis de la finalisation. Ce qui a été le cas pour Diplomatie, avec le travail d’Emmanuel Fortin (et aussi de Madonie Heudron).
Je trouve très important d’avoir des rushes très proches de l’image finale et aussi conforme à l’image des retours vidéo que le plateau. C’est plus facile pour le travail avec le réalisateur, et plus facile pour l’étalonnage final.

Un souvenir en particulier ?

MA : Ce tournage était bien sûr très intéressant grâce au travail des acteurs... J’ai été littéralement stupéfait par Niels Arestrup sur le plateau. Faire tous ces gros plans sur ce personnage mythique qui vacille dans ses convictions était simplement passionnant. Il se dégageait vraiment quelque chose de très fort dans le rapport entre ces deux personnages, André et Niels jouant au chat et à la souris dans ce lieu clos.
Volker avait répété avec ses deux comédiens pour qu’ils s’approprient ce nouvel espace et prennent ainsi une distance avec le jeu de la scène de théatre. Se réapproprier le texte et le remettre en espace en jouant avec la caméra.
De plus, ces acteurs principaux ont été accompagnés par de brillants seconds rôles venus de France et d’Allemagne. Un grand plaisir d’avoir travaillé avec ce réalisateur et ces acteurs.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)

Synopsis
La nuit du 24 au 25 août 1944. Le sort de Paris est entre les mains du général Von Choltitz, Gouverneur du Grand Paris, qui se prépare, sur ordre d’Hitler, à faire sauter la capitale. Issu d’une longue lignée de militaires prussiens, le général n’a jamais eu d’hésitation quand il fallait obéir aux ordres. C’est tout cela qui préoccupe le consul suédois Nordling lorsqu’il gravit l’escalier secret qui le conduit à la suite du général à l’hôtel Meurice. Les ponts sur la Seine et les principaux monuments de Paris – Le Louvre, Notre-Dame, la Tour Eiffel... – sont minés et prêts à exploser. Utilisant toutes les armes de la diplomatie, le consul va essayer de convaincre le général de ne pas exécuter l’ordre de destruction.

En vignette de cet article, photo de tournage - Jérôme Prébois