Entretien avec le directeur de la photographie Pierre Aïm, AFC, à propos des "Chatouilles", d’Andréa Bescond et Eric Métayer

par Pierre Aïm

[ English ] [ français ]

Lorsque Andréa Bescond et Eric Métayer reçoivent le Molière du Meilleur Seul en Scène en 2016 pour Les Chatouilles, un spectacle sur les violences sexuelles faites aux enfants, ils ne savent pas qu’ils viendront sur la Croisette deux ans plus tard avec le film éponyme qu’ils ont co-réalisé. S’entourant d’une équipe de choc pour ce premier film, ils font appel au directeur de la photographie Pierre Aïm, AFC, qui avait tourné Polisse, de Maïwen, résonance étrange avec Les Chatouilles... Le film est présenté dans la section Un Certain Regard. (BB)

Odette a huit ans, elle aime danser et dessiner. Pourquoi se méfierait-elle d’un ami de ses parents qui lui propose de « jouer aux chatouilles » ? Adulte, Odette danse sa colère, libère sa parole et embrasse la vie...
Avec Andréa Bescond, Karine Viard, Clovis Cornillac, Pierre Deladonchamps.

Andréa Bescond, Eric Métayer et Pierre Aïm sur le tournage des "Chatouilles"
Andréa Bescond, Eric Métayer et Pierre Aïm sur le tournage des "Chatouilles"

Comment as-tu orienté les choix artistiques pour ce film au sujet si fort ?

Pierre Aïm : Les réalisateurs voulaient que le style du film ressemble à celui de Bloody Sunday (2002), de Paul Greengrass. C’est filmé comme un reportage, comme si l’on pénétrait dans l’intimité d’une famille. Nous voulions une caméra au plus proche des comédiens et la plus invisible possible. Pour la lumière, elle est plutôt naturelle et finalement invisible, comme la caméra. Le sujet est très fort, je ne voulais pas dramatiser l’image mais qu’elle soit plutôt lumineuse.

Il y a un parti pris amusant et efficace pour créer du lien entre la petite Odette et l’adulte interprétée par Andréa Bescond, comment avez-vous réalisé ces liaisons ?

PA : Il n’y a aucun trucage, tout est simple et c’est par un regard ou un pano qu’on crée la transition entre les deux époques. Nous les avons soigneusement préparées en amont et choisi certains décors pour que ce soit réalisable. Ces procédés ouvrent une perspective magique, ludique et enfantine, qui permet de mêler le réel et le fantasme malicieusement.

Donne-nous le secret pour le raccord entre la chambre de la petite fille et l’Opéra Garnier !

PA : Le raccord se fait au moment où, dans la chambre d’Odette, le poster du danseur Rudolf Noureev se met à bouger. Sur la scène de l’Opéra Garnier, nous avons fixé une feuille de décor de la même couleur que les murs de la chambre et dans un pano, on découvre l’Opéra et Andréa (Odette adulte). C’est un peu artisanal mais ça marche très bien. C’est comme les artifices de théâtre qui réclament un peu de réflexion mais sont faciles à réaliser.

As-tu participé au travail artistique qui a permis de passer de la scène au film ? 

PA : Les producteurs désiraient tourner une séquence du scénario avant de démarrer la fabrication du film. Andréa et Eric ont voulu la filmer en plan séquence. Mais au final, ça ne marchait pas. C’est vrai qu’ils pensaient à un film à la Depardon, probablement parce qu’ils avaient encore en tête la pièce jouée sur scène et qu’ils ne voulaient pas d’artifice de cinéma.
L’idée de découper les scènes est venue après le constat négatif sur ce plan séquence. Ils ont compris aussi qu’il faut être dans les regards si on veut créer de l’émotion.

Les séquences chez la psy sont beaucoup plus posées que le reste du film...

PA : Oui, les cadres sont fixes alors que le reste du film est en caméra portée ou en travelling. Nous voulions que ces parenthèses, qui ressemblent à une introspection et projettent le spectateur dans le passé, soient calmes à l’image alors que ce qui est raconté est extrêmement cru et violent !

Dans la séquence de nuit avec les jeunes danseurs et rappeurs, la lumière est beaucoup plus présente et actrice de la scène...

PA : C’est une scène à la fois réaliste et fantasmée. L’environnement urbain est très présent et apporte une note hostile mais offre aussi un refuge où la création et la complicité peuvent s’exprimer. J’ai utilisé des néons dans le champ et me suis appuyé sur les enseignes lumineuses existantes. Des 5 kW Fresnel ont joué pour des contre-jours colorés. J’ai éclairé aussi la façade du Burger King pour la faire briller.

Comment s’est passée la collaboration avec ces deux metteurs en scène ?

PA : Eric s’occupait plus de la direction d’acteurs car Andréa est beaucoup à l’image. Mais ce n’était pas si compartimenté que ça, je m’adressais vraiment aux deux pour tout ce qui concernait l’image. Ils étaient incroyablement en phase et le tournage s’est très bien déroulé. Les comédiens étaient vraiment justes et présents et c’était un bonheur de les filmer.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)