Entretien avec le directeur de la photographie Victor Seguin à propos de son travail sur la vidéo musicale "Hell Yeah"

Sélectionné à Camerimage et en compétition dans la catégorie "Clip Musical", Victor Seguin nous parle du tournage de "Hell Yeah", un film pour le chanteur de blues et soul Rory Graham (alis Rag’n Bone Man). Un clip au ton très cinématographique réalisé par le duo Jonathan Cohen et Anthony Jorge (alias Truman & Cooper, des pseudos issus de la série "Twin Peaks").

Après une licence de cinéma à Paris 8, Victor Seguin est machiniste puis électricien et chef électricien sur des court métrages. Il intègre Louis-Lumière pour trois ans après quoi il assiste Eric Gautier, Yves Angelo, Gérard de Battista, Virginie Surdej... avant d’éclairer des court métrages, publicités et clips. (FR)

Parlez-moi de votre collaboration avec le duo de réalisateurs...

Victor Seguin : Avant de faire des films, on jouait dans un groupe de rock. Ça fait trois ans que je travaille régulièrement avec Jonathan et Anthony pour faire des clips et des publicités. On a commencé vraiment en se débrouillant avec les moyens du bord, des Canon 5D qu’on empruntait... et un peu de bricolage pour avoir des décors et costumes qui se tiennent. Nous avons eu la chance que les premiers clips aient bien marché et récolté des prix en festivals. Ma collaboration avec eux a eu beaucoup d’influence sur tout mon travail de ces dernières années.

Y a-t-il une ligne directrice qui se dessine à travers les différents clips que vous avez tournés ensemble ?

VS : Je pense que leur force est d’avoir trouvé une manière intéressante de travailler en prenant en compte les contraintes financières du clip.
Sur "Hell Yeah " par exemple, l’enjeu était de mettre au point un dispositif avec un minimum de décors et de technique pour se concentrer sur la comédie et faire un maximum de plans. Les réalisateurs ont essayé de pousser ce concept en choisissant un lieu unique, neutre, en extérieur, qui nous permettrait de tourner avec très peu de lumière, et de reconstruire plusieurs espaces et plusieurs décors minimalistes au fur et à mesure qu’on progresse dans l’histoire. Ainsi nous avons pu tourner plus longtemps (deux jours) avec une équipe et des moyens légers.

On pense forcément à la démarche de Lars von Trier sur Dogville et Manderlay...

VS : Oui, je vois ce que vous voulez dire. Le dispositif est très proche et les fins sont en partie identiques : épurer visuellement et techniquement pour se concentrer sur le drame. L’image "Dogma" n’est pas une influence très présente pour nous, mais l’économie de moyens et la dynamique de la caméra à l’épaule peut effectivement évoquer ce genre de films.
On a beaucoup de scènes de voiture dans le clip et on s’est vraiment demandé comment faire pour trouver des points de vue intéressants, originaux et en gardant la caméra à l’épaule. On est souvent très contraint par l’habitacle des voitures pour tourner. C’était l’époque de la première saison de "True Detective". Les intérieurs voiture y sont très réussis mais probablement tournés sur fond vert ou sur voiture travelling. Nous n’avions évidement pas les moyens ni le temps d’utiliser ces techniques. La solution que nous avons trouvée a été de m’harnacher sur le côté de la voiture avec du matériel d’escalade pour obtenir le recul suffisant par rapport aux comédiens tout en gardant la caméra à la main.
Autre influence, celle de Bruno Dumont, pour le choix des comédiens, le côté très brut des visages à l’image et le choix du Scope.

Comment s’est déroulé le tournage ?

VS : Nous avons tourné dans un aérodrome désaffecté dans lequel était située une base militaire où des commandos s’entraînaient. Les hélicoptères que vous voyez dans le champ étaient vraiment présents.
Le rythme de ce genre de tournage tout à l’épaule est assez soutenu. Les scènes sont très improvisées : on tourne rapidement, beaucoup de scènes dans une journée et j’essaye de proposer quelque chose de nouveau à chaque prise pour permettre de monter tous les plans mais aussi toutes les prises ensemble. Cette dynamique de tournage donne une grande richesse aux rushes.

Quelles ont été les relations avec l’artiste ?

VS : L’artiste fait un cameo, attablé devant la baraque à frites. Mais l’idée proposée est de raconter une histoire illustrant la musique, rechercher l’intensité dramatique plutôt que de mettre en avant l’interprète de la chanson.

Techniquement, quels ont été vos choix ?

VS : Tout a donc été tourné à l’épaule, avec une Red Dragon et des optiques anamorphiques Panavision de la série B. Majoritairement le 50 mm, et parfois le 75 mm. La douceur et les défauts de ces objectifs anciens aident à donner un caractère vivant et de la texture à l’image vidéo. On a aussi poussé l’ISO à 1 280 pour avoir un peu de bruit.
J’avais très peu de lumière sur ce film, quelques tubes fluorescents et bacs sodium utilisés à même le décor et un Joker 400 utilisé sans lentille et en mouvement dans les plans de rêve du père.
On a essayé d’étalonner le moins possible en restant fidèle aux ambiances du plateau.
On devait effacer les pieds de projecteurs du plan d’ouverture pour créer un espace fantasmagorique et on les a finalement gardés afin de donner cette impression un peu théâtrale, une manière d’affirmer en préambule "on va vous raconter une histoire".

Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC.

Dans le portfolio ci-dessous, quelques captures d’écran de "Hell Yeah".