Entretien avec le directeur de la photographie finlandais Rauno Ronkainen, président de la FSC

La Lettre AFC n°225

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A l’occasion de la venue à Paris du directeur de la photographie Rauno Ronkainen, président de la FSC (Association finlandaise des directeurs de la photo) pour la rétrospective qui lui était consacrée à l’Institut finlandais, Michel Abramowicz, AFC, et François Reumont lui ont posé quelques questions sur son métier et les coutumes de travail en Finlande.

Rauno Ronkainen est le président de la Finnish Society of Cinematographers. Sa carrière a débuté au cinéma en 1987, d’abord comme premier assistant opérateur, chef électricien ou cadreur. A partir des années 2000, Ronkainen s’affirme comme directeur de la photo et, en 2012, il est à l’affiche avec trois nouveaux films, parmi lesquels Purge, adapté du roman à succès international de Sofi Oksanen (sortie en Finlande en septembre). Il est également enseignant à l’université de Helsinki dans le département cinéma et prise de vues.

Rauno Ronkainen pendant l'entretien dans les bureaux de l'AFC. - Photo François Reumont
Rauno Ronkainen pendant l’entretien dans les bureaux de l’AFC.
Photo François Reumont


Pouvez-vous me décrire votre relation de travail avec le réalisateur ? Préparez-vous beaucoup avec lui en amont ?

Rauno Ronkainen : Le travail de recherches et de préparation sur chaque projet est capital pour moi. J’essaie de passer un maximum de temps avec lui pour comprendre ce qu’il a réellement dans la tête, son point de vue et ce qui est le fond de son film. Parallèlement, je commence à mettre au point les dispositifs sur chaque scène, et puis je compare avec l’évolution du projet, et les repérages. A vrai dire, j’ai un peu l’impression d’avoir à réinventer la bicyclette à chaque nouveau projet... mettre au point un nouveau dispositif, une méthode à chaque fois unique et " prototype " qui s’adapte le mieux possible au film.
Par exemple sur Purge, mon dernier film, le réalisateur Antti Jokinen a réalisé de nombreux clips aux USA. Il connaît très bien la prise de vues, la lumière et avait des demandes techniques assez précises... Pour chaque jour, il prépare beaucoup chaque décor, avec une liste de souhaits ou de références. C’est une manière de raconter son film à un niveau très précis, qui me force à intégrer directement ses demandes dans la collaboration avec mon équipe. Mais ça me va ! L’important là encore est que le réalisateur se sente à l’aise et crée en totale liberté, selon sa méthode.

Laura Birn dans "Purge" de Antti Jokinen, photographié par Rauno Rokainen
Laura Birn dans "Purge" de Antti Jokinen, photographié par Rauno Rokainen


Et comment travaillez-vous avec votre équipe ?

R.R : Je laisse en général les gens de mon équipe assez libres sur leurs choix. J’aime plutôt leur décrire l’ambiance et ce que je souhaite obtenir plutôt que leur faire une liste précise d’outils ou de techniques à utiliser. Ainsi la liste de matériel électrique ou machinerie est faite par les chefs d’équipe, puis revue ensemble à l’issue de la fin des repérages. Ce sentiment de liberté et de créativité est pour moi très important dans le processus de travail en équipe. Sur le plateau, mon travail repose entièrement sur la communication rapide et silencieuse avec mon " gaffer ", qui reste en permanence à mon écoute via une oreillette, et qui peut à tout moment remonter tel ou tel contre-jour, ou au contraire ramener un peu plus de lumière à la face...

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

R.R : Mon inspiration vient surtout des autres films. Je ne prétends pas imiter telle ou telle ambiance, mais la discussion à partir de scènes, de décors trouvés dans telle ou telle scène m’aide énormément …
Les films des années 1970, ou le travail d’opérateurs comme Haskell Wexler, Vilmos Szigmond… Je pense que c’est vraiment un point de départ passionnant pour parler de fabrication d’image. J’avoue que j’admire certains opérateurs qui arrivent à se bâtir littéralement un style de films en films mais ce n’est pas mon cas. Je m’adapte, et j’assemble peu à peu chaque projet selon les influences, les contraintes et les souhaits de la mise en scène.

Lors de la conférence donnée à l’Institut finlandais, vous insistiez sur l’utilisation des sources en mouvement dans l’image... Est-ce une méthode que vous privilégiez désormais ?

R.R : J’aime de plus en plus les lumières en mouvement, car j’ai l’impression que ça peut donner plus d’ampleur à certaines scènes. Ça vient en partie de ma propre observation de la lumière, notamment chez moi à Helsinki, où j’habite dans un immeuble ancien avec beaucoup de vieilles fenêtres.
Juste le spectacle du soleil qui se couche, et de cette lumière qui passe à travers ces fenêtres, puis qui voyage sur les murs de la pièce… c’est très dynamique ! Bon, bien entendu, je ne prétends pas qu’éclairer chaque plan d’un film avec des lumières installées sur grues est la panacée, mais honnêtement travailler sur ce paramètre peut aider à donner un certain rythme presque inconscient à condition que ça soit fait avec beaucoup de soin et de précision.

Tournez-vous parfois en studio ?

R.R : Dans la plupart des cas, on tourne en décors naturels en Finlande. On a quand même quelques studios où l’on peut construire des décors mais le coût est tel que c’est assez rare. Comme partout ailleurs on nous force à tourner dans des entrepôts vides reconvertis en studios, mais l’acoustique et les équipements pour la lumière ne sont pas du tout au niveau. Parmi les films que j’ai présentés à l’Institut finlandais, un seul (Gènes à l’envers, de Saara Saarela en 2009) a été majoritairement tourné dans le plus grand studio d’Helsinki. Une exception qui confirme la règle et qui se justifie par les ambiances assez éloignées de la réalité, basée sur cette lumière hivernale qui joue beaucoup en réflexion.

Et au sujet du matériel, est-ce facile de se procurer ce dont on a besoin ?

R.R : Le matériel est disponible sans problème. Que ce soit entre les maisons " historiques " qui louent du matériel ciné depuis longtemps et celles plus récentes spécialisées dans le numérique.
Avec, en plus, la proximité de grands pays de cinéma comme la Suède ou le Danemark. On peut donc trouver à peu près tout ce qu’on veut. Autre détail important : nos techniciens image ont un niveau d’expérience assez élevé. Que ce soit les pointeurs, les chefs électros ou les machinistes, ils ont souvent l’occasion de travailler à l’étranger avec des équipes internationales, comme par exemple mon " gaffer ", Jani Lehtinen, qui a récemment travaillé sur Millenium de David Fincher (tourné en partie en Suède).

Avez-vous encore des laboratoires argentiques en Finlande ?

R.R : Non c’est fini, le dernier laboratoire a fermé en août 2012. Pour pouvoir développer le film, nous sommes désormais obligés d’aller en Suède ou au Danemark... mais encore pour combien de temps ? Bien entendu nous avons plusieurs maisons de postproduction qui sont encore capables de transférer le film développé en HD ou de le scanner, mais ça devient de plus en plus rare de se voir proposer des films en argentique. Persuader les producteurs de persévérer à tourner en argentique devient mission impossible... sauf si les conditions de tournage sont telles que seules les caméras films peuvent s’en sortir sans trop de risques !
Pour mon dernier film, Purge, il n’y a eu qu’une seule copie 35 mm pour cent copies numériques distribuées en Finlande. Cette copie (fabriquée au Danemark) a d’ailleurs été plus ou moins subventionnée par les aides publiques, d’une part pour que le film puisse être projeté dans certains rares cinémas qui ne sont pas encore équipés en numérique, et aussi pour certains festivals internationaux qui exigent encore une copie film. De toute façon, en Finlande, la quasi intégralité des salles est désormais équipée de projecteurs numériques, une bascule qui s’est effectuée très vite grâce à des aides publiques.

Regrettez-vous cette situation ?

R.R : Ce qui me rend triste, c’est que j’ai le sentiment qu’on nous a littéralement confisqué un outil qui ne reviendra jamais, malgré le savoir-faire et l’expérience accumulés sur toutes ces années...
Un constat qui est malheureusement mondial… mais c’est comme ça.

(Propos recueillis en octobre 2012 par François Reumont et Michel Abramowicz, et rédigés par François Reumont pour l’AFC)