Et si les grands singes devenaient un jour, avec les animaux savants, auteurs de la photographie ?
Par Jean-Noël Ferragut, AFCDifférents articles de presse parus depuis septembre 2015 reviennent sur une affaire qui date, elle, de 2011 mais qui agite depuis la chronique judiciaire. David Slater, photographe de son état, se trouvant sur une des îles indonésiennes des Célèbes pour y prendre des photos de nature et d’animaux – l’une de ses spécialités – laisse un jour son appareil sur pied dans l’intention de s’absenter quelques minutes. C’est alors qu’un dénommé Naruto, membre du groupe de macaques avec qui il travaille, profite de l’aubaine pour se poser devant l’objectif, appuyer sur le déclencheur et prendre instinctivement bon nombre de clichés, la plupart sans intérêt mis à part quelques saisissants autoportraits. L’un d’eux est mis en vente par ledit photographe sur Internet, qui en tire quelques subsides.
C’est sans compter sur des personnes pour le moins effrontées qui prennent un malin plaisir à le faire circuler sur une base de données d’images libres de droits en prétextant que la photo a été pise par l’animal et non par l’homme.
C’est là que l’affaire se corse, si l’on ose parler ici de double insularité... Début janvier, les autoportraits de Naruto se sont retrouvés devant un tribunal américain. L’ONG People for the Ethical Treatment of Animals, représentant l’animal, demandait que les droits d’auteurs touchés par le photographe David Slater reviennent au macaque Naruto, prétextant que lui et son espèce menacée d’extinction pourraient bénéficier de l’aide financière ainsi générée.
Le 28 janvier, la justice américaine a tranché : au regard du Copyright Act qui protège Outre-Atlantique la propriété intellectuelle, les animaux ne sont pas considérés comme des auteurs. Dont acte, en a conclu l’avocat de l’ONG, notant tout de même au passage qu’une « étape historique » avait été franchie dans le droit américain.
Cela dit, la question soulevée est au demeurant plus vaste. Car, même si en droit français et dans les autres pays, les animaux ne peuvent avoir un droit de propriété sur les productions "artistiques" auxquelles ils participent, ceux-ci, dans certains d’entre eux, obtiennent un statut d’"être sensilble", d’une part, et de nombreuses œuvres d’animaux "peintres", exécutées sous incitation de l’homme, sont vendues sur le marché de l’art, d’autre part. Dans les années 1950-90, une trentaine de singes, sans compter des éléphants, des chevaux ou encore des ours, firent preuve de certaines dispositions et d’un véritable sens esthétique. Par ailleurs, des éléphants d’Asie artistes, plutôt bien organisés, formés et aidés par leurs cornacs, ont vu ainsi les modestes subsides tirés de la vente de leurs productions garantir leur retraite et celle de leurs congénères. Les prix pouvant grimper, en Occident et dans les bonnes maisons spécialisées, jusqu’à plusieurs milliers d’euros.
Les choses pourraient-elles évoluer ? « Depuis février 2015, en France, l’animal a acquis dans le code civil le statut d’"être vivant doué de sensibilité" mais il reste soumis à la catégorie des biens mobiliers », constate une juriste consultante pour une association de protections des animaux, en précisant toutefois : « Considéré comme objet et non comme sujet, il n’est pas titulaire de droits subjectifs et ne peut donc pas bénéficier de droits d’auteur. » Un autre juriste estime pour sa part que la loi devrait accorder aux animaux le statut de personne morale, au même titre qu’une association ou un syndicat, permettant ainsi « de décliner la palette des droits dont les animaux seraient investis ; parmi lesquels, pourquoi pas, des droits d’auteur ou leur équivalent. » Ce dernier terme serait le plus plausible car les droits d’auteur, même pour une personne morale, protègent une "œuvre de l’esprit", ce qui suppose une "intention de créer". L’animal l’obtiendra-t-il un jour officiellement ? Ce qui semble moins évident.
Alexandre Zollinger, maître de conférence à l’université de Poitiers, pose la question suivante et résume la situation : « Le singe, en appuyant sur le déclencheur, savait-il qu’il allait prendre une photographie ? S’il n’a pas eu conscience, même limitée, du résultat recherché, il est difficile de considérer qu’il s’agit d’une création. » Il suggère, concernant les "créations animalières", un « intéressement en nature » sous forme de contrat visant à améliorer le bien-être de l’"artiste" ou de ses semblables. Il propose même de rendre obligatoire ledit contrat en imaginant que « les intérêts des animaux créateurs soient représentés par une sorte de société de gestion collective, à l’image de la Sacem ou de la SACD ». Cet autre mécanisme juridique permettrait de protéger plus largement le travail "artistique" des animaux et d’en faire bénéficier ceux qui travaillent dans les cirques ou jouent dans les films.
A ce propos et pour conclure, dans le fil du sujet mais sur une touche plus personnelle et sentimentale, si l’on se souvient encore de Uggie, le terrier qui s’est vu remettre un Collier d’or pour sa prestation dans The Artist, en 2012, ayons une petite pensée émue pour Josephine, la petite guenon qui tournait elle-même, à l’insu de Buster, la manivelle d’une caméra Prevost dans The Cameraman, en 1928.
Sources : Supplément "Culture & idées" du Monde du 20 février 2016, La Dépêche du Midi du 7 janvier 2016
- Lire l’article consacré à l’affaire par LaDépêche.fr
- Lire l’article de Réponses Photo
- Lire l’article de Sciences et Avenir
- Lire l’article de l’association People for the Ethical Treatment of Animals (PETA).