"Film and Digital Times" s’entretient avec Darius Khondji, AFC, ASC

Contre-Champ AFC n°333

A l’occasion de l’"Hommage Pierre Angénieux" rendu cette année lors du Festival de Cannes à Darius Khondji, AFC, ASC, Jon Fauer, ASC, s’est entretenu avec lui pour son magazine Film and Digital Times. Darius parle de ses origines, de ses études, de ses débuts, du fait, entre autres sujets abordés, qu’il n’est pas fasciné par la technique mais considère "être technique" dans la façon de filmer sous tous ses aspects, dont, par exemple, l’utilisation des optiques. Extraits...

Jon : Voulez-vous activer votre vidéo Zoom ? Ne vous inquiétez pas, la publication sera textuelle, sans images.

Darius : Je n’aime jamais les photos ou les vidéos de moi de quelque façon que ce soit. Je les refuse systématiquement. Je n’aime pas les photos de moi.

Jon : La dernière fois qu’on s’est parlé, vous tourniez un court métrage avec votre fils Alexandre. À ce moment-là, vous avez également dit que vous ne vouliez pas de photos de vous, mais vous m’avez ensuite envoyé un tas de photos de production, et elles étaient toutes excellentes. Que fait Alexandre maintenant ?

Darius : Alexandre est un artiste. Il est diplômé du Bard College de New York, a obtenu une maîtrise au Royal College of Art de Londres et a effectué une résidence à la Fondation Luma, à Arles, dans le sud de la France. Il y a fait une installation artistique et c’est vraiment intéressant. C’est un jeune artiste et il se débrouille très bien.

Jon : En parlant de jeunes artistes, comment avez-vous commencé dans le cinéma ?

Darius : Je suis né en Iran, d’un père iranien et d’une mère française. J’ai été élevé en France. Toute ma culture, tout ce que j’ai, vient de France. Je suis plutôt français, mais j’aime l’idée d’avoir mon côté persan. J’adore les Iraniens, l’art, la culture et le cinéma persans, et la nourriture est incroyable.
J’ai grandi dans la banlieue parisienne, près de Versailles, dans la petite ville de Vaucresson. Nous vivions dans une grande et vieille maison formidable, avec un jardin. Je suis allé à l’école primaire et au lycée à proximité.

Je tiens beaucoup à la France. C’est là que j’ai grandi et vécu presque toute ma vie. Je suis allé à l’école là-bas. J’ai été réellement élevé par ma mère et ma sœur. C’est ma sœur Christine qui m’a donné mon éducation culturelle. Elle m’a emmené dans des galeries d’art et des musées. Je lui dois beaucoup. Nous avons voyagé dans le nord de l’Italie, en Angleterre et dans toute la France. J’ai commencé à regarder des films. Je suis allé très tôt à la Cinémathèque française et je suis devenu cinéphile.

Après avoir obtenu mon diplôme d’études secondaires, et un an d’université en France, je suis allé à l’école de cinéma de l’université de New York (NYU) et c’est devenu, en quelque sorte, mon deuxième pays d’adoption. New York a eu une influence incroyable sur moi sur les plans artistique et émotionnel. Je suis très reconnaissant à New York. J’avais 22 ans quand je suis arrivé et j’ai découvert le New York de la fin des années 1970, de 1977 à 1980. C’était incroyable d’être là, à cette époque. C’était une deuxième période de ma vie. Je pense que cela a influencé presque tout pour moi. J’avais un professeur formidable, Haig Manoogian, quand je suis arrivé à la NYU. C’est une personne très importante pour moi.

Émotionnellement, je me sens très proche de l’Amérique. Je travaille beaucoup aux États-Unis et c’est un peu mon deuxième pays. Ce n’est pas seulement mon travail, c’est aussi mon univers émotionnel. Je devrais devenir citoyen américain car je me sens très impliqué avec les États-Unis. Mais je suis citoyen français. Et je vote là-bas.

Jon : Comment avez-vous choisi la NYU ?

Darius : J’ai fréquenté l’université à Paris pour étudier l’histoire et les langues pendant un an. J’ai été accepté à la NYU en deuxième année. C’était très cher mais mon père venait de décéder et il nous a laissé un peu d’argent, alors j’ai mis ça dans mes études de cinéma, ma passion. Je n’étais pas un élève particulièrement bon, mais ils m’ont quand même accepté.

Jon : Et après la NYU ?

Darius : Quand je suis revenu en France, j’ai commencé à travailler. J’ai fait un stage chez Panavision Alga, à Vincennes. En parallèle, j’ai effectué un stage de quelques mois aux Laboratoires Eclair, j’y ai tout appris sur le développement et le tirage de film.
Et j’ai commencé à travailler comme deuxième assistant opérateur. J’ai appris toutes les techniques du département caméra. La France est très technique avec ça. Vous faites beaucoup d’essais, les faites développer, puis examinez les négatifs au microscope. C’était bien mais difficile pour moi car je n’étais pas très technique ; mais j’ai dû m’adapter. Ensuite, j’ai eu la chance de rencontrer l’un des meilleurs premiers assistants caméra, Pascal Marti, qui est devenu lui-même un directeur de la photographie très talentueux. Il a récemment remporté un César pour sa direction de la photographie.

A l’époque, Pascal était premier assistant de Bruno Nuytten, AFC (Jean de Florette, Manon des sources). Bruno Nuytten est un directeur de la photo français légendaire. Nous avons travaillé ensemble sur un grand film intitulé Fort Saganne, d’Alain Corneau, avec Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Sophie Marceau. C’était l’un des films les plus chers de l’époque. Bruno voulait travailler avec le matériel de Technovision, une entreprise située à Rome et en Angleterre. Je suis allé avec une partie de l’équipe caméra à Rome pendant trois semaines pour préparer trois caméras Arriflex 35 BL et des optiques anamorphiques. Nous avons dû tester et sélectionner tous les objectifs : les conversions anamorphiques Technovision d’optiques Cooke et Zeiss, et les anamorphiques Kowa. Nous avons comparé 30 à 50 objectifs, pour sélectionner les meilleurs, pour chacune des trois caméras. C’était en 1983. L’essentiel pour Bruno était d’avoir autant d’objectifs Cooke que possible parce qu’il aimait les optiques sphériques originales Cooke Panchro, et Technovision en a convertit en anamorphique autant que possible.
Nous avions également deux zooms Cooke 25-250 mm qui sont devenus des 50-500 mm avec l’adaptateur anamorphique arrière, et un 20-100 mm qui est devenu un 40-200 mm. Nous avions donc beaucoup de matériel à préparer.

Jon : C’est à cette occasion que vous avez rencontré Henryk Chroscicki pour la première fois ? Je me souviens que vous étiez de bons amis.

Darius : Oui, c’est là que j’ai rencontré le propriétaire de Technovision, Henryk Chroscicki. Il a été très gentil avec moi, très généreux. Il m’a beaucoup aidé et m’a accompagné. Nous sommes devenus amis tout de suite. Nous avons partagé des idées similaires et c’était juste un merveilleux temps de préparation en Italie. [...]

(Publié avec l’aimable autorisation de Film and Digital Times et traduit de l’anglais par Laurent Andrieux)