FilmLight et l’étalonnage de "Bardo, False Chronicle of a Handful of Truths"

by FilmLight Contre-Champ AFC n°341

[ English ] [ français ]


Réalisé par Alejandro G. Iñárritu, quintuple lauréat d’un Oscar, le film nommé aux Oscars 2023, Bardo, False Chronicle of a Handful of Truths, raconte l’histoire de Silverio, un journaliste renommé devenu documentariste, et le voyage qu’il entreprend pour se réconcilier avec le passé, le présent et son identité mexicaine.

Silverio est confronté à des questions sur l’identité, le succès, la mortalité, l’histoire du Mexique et les liens familiaux profonds qui l’unissent à sa femme et à ses enfants.

Un partenariat éprouvé

Le film immersif a été étalonné sur Baselight chez Harbor à Los Angeles, par le coloriste Damien Vandercruyssen. Il a travaillé en étroite collaboration avec le directeur de la photographie primé, Darius Khondji, AFC, ASC, pour obtenir l’esthétique désirée.

Darius Khondji a été nommé à l’Oscar de la Meilleure photographie ainsi qu’à un prix de l’ASC pour son travail sur le film.

Le duo a travaillé ensemble à de nombreuses reprises – notamment sur Uncut Gems (2019), Lisey’s Story (2021) et plus récemment Armageddon Time (2022) – et a développé un lien créatif fort. Ils aiment traiter chaque projet comme une toile vierge.

« Ce que j’admire vraiment dans le travail de Darius, c’est que chaque projet nécessite une approche spécifique, une sensation et une esthétique propre », commente Damien Vandercruyssen. « Bardo et Armageddon Time ont été tournés par le même DoP, avec la même caméra et la même année, mais ils ne se ressemblent pas du tout. Nous avons, bien sûr, un sens et une culture communs vers lesquels nous penchons naturellement, mais nous voulons que chaque projet soit unique. Cela définit une limite qui nous empêche de tomber trop facilement dans l’automatisme. »

Courtesy of Netflix


Onirisme

"Onirisme naturel", c’est ainsi que Damien Vandercruyssen décrit le look souhaité du film. « Nous voulions une palette propre avec une très légère touche de patine argentique », ajoute-t-il. « Le travail de la couleur de Vivian Maier était une des références lors de la pré-production que nous avons continué à étudier pendant la DI. Il est légèrement délavé mais a des accents de couleur. C’était un look unique qui porte une certaine nostalgie. »

"Bardo" est un mot tibétain qui fait référence au concept bouddhiste d’un état flottant transitoire entre la mort et la renaissance, qui dans le film se traduit entre des séquences oniriques surréalistes et des scènes réalistes.

« Pour le réalisateur et le DoP, il était important que l’étalonnage soit naturel, même dans les états de rêve », explique Damien Vandercruyssen. « Nous avons affiné les transitions entre les scènes grâce à des variations subtiles, des respirations dans l’étalonnage, et en faisant passer l’ambiance de la réalité à l’état de rêve naturellement, instinctivement, presque imperceptiblement. »

Les LUTs

Pour Bardo, Darius et Damien ont commencé par créer des LUTs pendant la pré-production. La production a eu lieu au Mexique, mais en raison des restrictions du COVID-19 à l’époque, Damien Vandercruyssen était à New York et le couple travaillait à distance si nécessaire.

« C’est toujours un moment spécial lorsque le directeur de la photographie recherche les ingrédients parfaits pour le look qu’il souhaite », explique Vandercruyssen. « Entre la caméra, l’objectif, l’éclairage et la couleur, tous liés à la conception des costumes et de la production, cette phase de test est essentielle. Cela rend tout transparent sur toute la ligne ».

Après avoir construit les LUTs pour Gabriel Kolodny (DIT et coloriste sur le plateau), Damien Vandercruyssen a gardé un œil sur les rushes et accompagné le développement de nouvelles LUTs et ajustements.

Courtesy of Netflix


Le tournage

Bardo a été filmé avec l’Arri Alexa 65. « La qualité de l’image de cette caméra est très impressionnante », commente Damien Vandercruyssen. « Le seul défi était de gérer la quantité colossale de données que cela nécessite, et d’atteindre la limite de la lecture en temps réel. »

L’équipe a utilisé l’Arri LogCv3 Wide Gamut comme espace colorimétrique de travail. Tous les plans VFX ont été livrés en Arri Linear EXR avec caches intégrés.

« Nous avons commencé avec les pelures seules, puis nous avons traité les plans VFX au fur et à mesure qu’ils arrivaient », se souvient Vandercruyssen. « L’étalonnage principal a été fait en P3 D65, jusqu’à la première en festival. J’ai ensuite commencé à travailler sur les autres livraisons HDR/SDR pour Netflix, et les sorties film et Dolby Cinema.

L’étalonnage

Damien Vandercruyssen et Darius Khondji ont commencé à travailler sur l’étalonnage principal au printemps pendant sept semaines, puis se sont arrêtés avant de recevoir tous les plans VFX finaux. Ils ont ensuite continué pendant encore quatre semaines avec le réalisateur, Alejandro Iñárritu, en août, et ont encore travaillé deux semaines pour la version HDR Dolby Vision et les sorties finales.

« L’offline est toujours notre point de départ, et le look se développe au fur et à mesure que nous voyons les scènes et en discutons », explique Damien Vandercruyssen. « Darius nous indique si besoin une nouvelle direction, pointant les choses qu’il aime et celles qu’il n’aime pas. S’il y a quelque chose qui, à mon avis, ne fonctionne pas, je propose des alternatives.

« Ensuite, c’est une question d’aimer ou non cette nouvelle direction. Je trouve que la couleur est un goût très subjectif et personnel. Nous avons tendance à préférer les mêmes looks, ce qui rend le processus d’innovation un peu plus difficile. Mais sur Armageddon Time, par exemple, nous avons pu jouer avec une palette plus douce comme jamais auparavant. Pour Bardo, nous avons également joué avec cette palette plus douce.

« L’étalonnage de Bardo était une question de subtilité, à travers des ajustements et des raffinements minutieux », explique Damien Vandercruyssen. « Nous avons pu y parvenir en grande partie grâce à Baselight. J’ai utilisé des images-clés pour les formes, les clés ou les mélanges de nuances et d’opacité, car il y a beaucoup de nuances changeantes tout au long des prises de vues. La scène de l’orage dans la cuisine, par exemple, a été tournée intentionnellement, mais nous avons amélioré les transitions en assombrissant l’image au fur et à mesure que l’orage grossissait.

Courtesy of Netflix


Mélanger et équilibrer

L’un des aspects les plus difficiles de l’étalonnage pour Damien Vandercruyssen était de gérer de longues prises avec plusieurs looks.

« J’ai dû créer et mélanger plusieurs stacks pour obtenir les transitions fluides souhaitées », explique-t-il. « Il y avait beaucoup de longues prises avec quelques besoins de fenêtres. J’ai eu accès à une tonne de sauvegardes de Robert Crosby, coloriste associé, et de Weiyi Ang, assistant coloriste, qui ont fait un travail phénoménal de tracking et d’images-clés pour de nombreuses fenêtres. »

L’un des plans les plus délicats auxquels Damien Vandercruyssen s’est attaqué est l’entrée du studio de télévision qui progressait jusqu’au vestiaire. « Il s’agit d’un très long plan composé de six étalonnages pour autant d’emplacements différents », explique-t-il. « Nous avons donc dû diviser le plan en sections, une par emplacement, puis les mélanger dans les transitions, ainsi que les fenêtres et les images-clés, à nouveau pour chaque emplacement. »

Une autre scène difficile était la scène du centre-ville de Mexico qui passe, en accéléré, du jour au soir dans les rues, puis jusqu’avant l’aube au Zocalo.

« Cette scène était très riche en VFX, mais l’ensemble des rushes était un défi », explique-t-il. « Obtenir la bonne quantité d’obscurité, alors que la nuit se fond dans l’aube, était un véritable challenge. Je me suis senti comme un funambule marchant sur son fil. Chaque réglage avait un effet domino. C’était également un équilibre très difficile à trouver et à coordonner avec l’équipe VFX.

Prix et récompenses

Bardo a déjà remporté plusieurs prix dans plusieurs festivals de cinéma en 2022, notamment la Grenouille d’argent à Camerimage (Pologne), mais aussi à Capri (Hollywood) et à Venise (Italie).

Le film était également nommé pour l’Oscar 2023 de la meilleure cinématographie et au prix ASC pour la meilleure photographie d’un long métrage sorti en salle.

(Traduit de l’anglais par Laurent Andrieux pour l’AFC.)