Fred Elmes, ASC, revient sur le tournage du pilote de la série "Hunters", réalisé par Alfonso Gomez-Rejon

Al Pacino contre le IVe Reich

Contre-Champ AFC n°314

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Proposé sur Amazon Prime Video, Hunters fait partie des programmes phares de l’année 2020 pour la plateforme de Jeff Bezos. Produite par Jordan Peele (Get Out), et écrite par David Weil, cette série de dix épisodes lorgne avec évidence sur le cinéma bis. Au programme, une chasse aux nazis dans le New York des années 1970 menée par Al Pacino. Entre ultra violence et humour qui évoquent forcément le cinéma de Quentin Tarantino. Fred Elmes, ASC, s’est chargé de mettre en image ce pilote, en compétition Pilotes TV à Camerimage 2020. (FR)

En 1977, à New York, une bande de chasseurs de nazis découvrent que des centaines de hauts dignitaires du régime déchu vivent incognito parmi eux et complotent pour instaurer un IVe Reich aux États-Unis. L’équipe hétéroclite de Hunters se lance alors dans une sanglante quête visant à faire traduire ces criminels en justice et à contrecarrer leur projet de génocide.

Quelle est la genèse de Hunters ?

Fred Elmes : Je connaissais Alfonso Gomez-Rejon depuis plusieurs années (un réalisateur ayant déjà travaillé sur American Horror Story ou Glee). On s’était promis de travailler ensemble mais jusque là sans succès. Quand Amazon a décidé qu’il serait le réalisateur du pilote de Hunters, j’ai saisi cette occasion, d’autant plus qu’ils souhaitaient vraiment que ce pilote soit le "moule" à partir duquel le reste des épisodes seraient produits. Amazon nous a promis son support total, offrant à Alfonso plus de temps que la moyenne pour livrer un épisode de 90 minutes. Peu de pilotes sont aussi longs, et c’était aussi une autre motivation pour moi de me lancer dans l’aventure. Nous n’avons tourné en revanche que le pilote ensemble, le reste de la série étant partagé entre cinq autres metteurs en scène et deux autres DoP (Tim Norman et William Rexer).

Alfonso Gomez-Rejon and Fred Elmes, AFC
Alfonso Gomez-Rejon and Fred Elmes, AFC


Quels étaient les défis à l’image ?

FR : La première difficulté a été celle de devoir tourner en hiver. En effet, le scénario mentionnait très clairement que pas mal de scènes se déroulaient pendant l’été. À l’image de cette séquence d’ouverture, où les gens sont en maillot de bain au bord d’une piscine en train de préparer un barbecue... C’est pour cette raison que le tournage a finalement été coupé en deux parties, de manière à attendre l’arrivée des beaux jours. En tout, on a dû faire 22 jours de tournage, ce qui est tout de même confortable quand on prend en compte qu’un pilote de série aux États-Unis est habituellement tourné en 12 jours pour environ une heure de durée, une fois monté.

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Et les plans séquences ?

FR : C’est l’une des décisions prises dès le début par le réalisateur et moi-même, en accord avec les responsables de la série. Pas forcément quelque chose de facile sur un plan de travail de série télé. Le résultat sur cette ouverture est un très long plan-séquence qui démarre par une valeur très large depuis une grue, pour arriver au niveau du sol et suivre les actions et les dialogues. Puis, jusqu’à finir en très gros plans sans que le spectateur n’ait vraiment ressenti de cut jusqu’au face à face final. Les rares coupes pour raccorder entre différentes prises sont pour la plupart dissimulées dans les panos filés. La grande difficulté a surtout été de réaliser le plan depuis cette valeur extrêmement large, pour ensuite se resserrer tout en continuant les mouvements de grue et les panoramiques. Tourner bien sûr avec la météo appropriée, une belle journée ensoleillée pour saturer toutes ces couleurs primaires (le dessert en gelée rouge, le pantalon bleu de la victime, le parasol jaune...) et intégrer la course du soleil notamment pour éviter des ombres portées du bras de grue dans le champ. Ainsi, en regardant de plus près, on remarque que le face à face final entre le bourreau et sa victime est vraiment dans une tonalité de soleil couchant... Ce qui était le cas, les derniers plans ayant été tournés en fin de journée. Une vraie chorégraphie hors-champ autour des rails et de la base de la grue.

La série est très "pop". Certains ont parlé d’une série à la Tarantino...

FR : Alfonso et moi avions avant tout envie de se faire plaisir sur ce pilote, proposer une image très acidulée, avec pas mal de couleurs saturées comme dans une bande dessinée. Vous savez, New York, dans les années 1970, était vraiment un endroit très sale, assez lugubre et inquiétant. La ville avait même frôlé la banqueroute en 1975 ! Donc on voulait plutôt donner un peu plus de glamour, avec un côté "bigger than life". En matière de référence, pas forcément Tarantino. On n’a pas évoqué d’autres films stricto sensu. Peut-être quelques influences à chercher du côté du photographe Saul Leiter et de son utilisation de la couleur dans les rues de New York.

Vous avez été l’emblématique directeur de la photo de Blue Velvet, entre autres. Avez-vous retrouvé des éléments ou des situations sur l’exploration d’une Amérique cachée ?

FR : C’est vrai qu’il y a des passerelles avec ce projet. Le fait que ce jeune protagoniste passe de la surface des choses pour s’enfoncer peu à peu dans cette histoire extrêmement sombre. Cela m’a effectivement rappelé des moments chez David Lynch.

Le manoir de Meyer Offerman est un lieu central. Cette grande bibliothèque marque visuellement ce pilote...

FR : À l’origine, au moment des repérages, ce décor avait été retenu pour son sous-sol et son extérieur. C’est une sorte de grand manoir situé dans l’Upper East Side de Manhattan, avec un portail et même une rampe pour pouvoir garer sa voiture. Une chose vraiment rare à New York ! C’est en décidant, par curiosité, de jeter un œil aux étages supérieurs qu’on est tombé sur cette bibliothèque absolument splendide.

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Bien entendu, ajouter un tournage dans la bibliothèque a engendré un surcoût conséquent... Mais bon, le décor était tellement unique qu’on a réussi à s’organiser pour l’avoir. En ce qui me concerne, c’était un vrai défi car il était absolument interdit de fixer quoi que ce soit sur les murs. Comme dans un musée ou un monument historique... et pourtant Alfonso ne voulait pas démordre de l’idée qu’Al Pacino serait en train de regarder un film sur écran pendant la scène... Une difficulté de plus car tout devait se faire en direct, avec un vrai vidéoprojecteur placé hors-champ, en synchro avec le jeu. Pour ce faire, j’ai dû disposer toute une série de petits projecteurs LEDs auto-alimentés, très légers, placés au milieu des rideaux qui me permettaient d’éclairer l’intérieur du décor. Des HMIs étant placés derrière les fenêtres à l’extérieur. Et puis il y avait la lumière provenant de l’écran de projection, se réfléchissant notamment en plan large sur l’échiquier et aussi un peu sur les visages. Sur les gros plans, il nous a juste suffi d’utiliser un autre écran un peu plus proche pour doser la bonne quantité de lumière réfléchie. La difficulté était d’équilibrer la lumière extérieure solaire avec les petites sources LED et le vidéoprojecteur. Parce que vous vous doutez bien que quand Al Pacino arrive sur le plateau, vous avez plutôt envie de vous mettre à tourner !

Avec quel matériel êtes-vous parti ?

FR : La série a été tournée avec une Arri Alexa LF, car j’avais envie de tirer parti du grand capteur pour pouvoir contrôler la profondeur de champ. J’ai équipé la caméra d’objectifs Cooke s7 qui couvrent le plein format, mais en les diffusant avec un morceau de tissu de soie pour casser un peu leur définition et ramener de la douceur sur les visages. Un choix qui m’a paru bien aller avec le style de la série, et surtout avec cette volonté affichée depuis le départ de ne pas découper les scènes de manière classique. Travailler le plus possible en plans-séquences et en mouvement sans trop découper. La souplesse du grand capteur, l’ouverture des optiques (T2) et le minimum de point (4 à 8 pouces selon les focales) ont été très utiles.

Parlons de la scène dans le magasin de jouets où le protagoniste retrouve le meurtrier de sa tante...

FR : D’abord il faut je parle de l’extérieur de ce magasin de jouets. On est dans une sorte de canyon. C’est, je crois, le quartier de New York où la rue est la plus étroite et les immeubles font bien trente étages de haut... C’était très important pour nous d’avoir ce plan large au début la séquence, avec la voiture rouge et le jeune homme qui débarque.

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L’intérieur du magasin a été construit par le chef décorateur dans un entrepôt. Visuellement, ça reste un entrepôt mais rempli de jouets, vraiment à la limite du crédible. C’était un drôle d’endroit, vraiment. Pas prévu de la sorte dans le scénario mais quand on a repéré le lieu, on en est tout de suite tombés amoureux !
Parmi les détails existants, il y avait notamment cette série de cloisons vitrées anciennes qui nous ont servi à structurer l’ouverture de la scène, avec la partie magasin d’un coté et de l’autre le bureau du propriétaire, puis la remise atelier, qui sert ensuite pour l’interrogatoire. Trouver les bons mouvements à la dolly, comme celui du début quand le jeune héros s’introduit dans le magasin pour s’y confronter au propriétaire, n’a pas été facile. Mais c’est gratifiant quand vous trouvez la solution. Cela peut se jouer parfois à un rien, comme ici la bonne position de ces cloisons vitrées...

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Vous n’hésitez pas non plus à éclairer avec des couleurs très saturées...

FR : Oui, je me suis permis pas mal de libertés sur ce pilote. L’utilisation de ces couleurs magenta, rouge, parfois vertes ou cyan, avait été testée avant le tournage et avait beaucoup plu à Alfonso. Sur la séquence d’interrogatoire qui suit, par exemple, le vendeur de jouet est éclairé en rouge-magenta, tandis que Jonah reste dans une lumière froide... Il n’y a, à vrai dire, aucune justification pour ce contraste de couleurs mais ça me semblait juste en termes d’ambiance pour cette scène. Sur cette séquence, j’ai aussi beaucoup aimé utiliser les possibilités de mise au point rapprochée et les effets de très faible profondeur de champ qui en résultent. Par exemple, à la fin de l’interrogatoire, il y a ce plan très serré sur le vendeur de jouets (Kenneth Tigar) qui s’approche de la caméra, à quelques centimètres seulement de l’optique. Il était parfait dans son rôle ! Ses yeux sont dans le point mais son nez et et ses oreilles partent dans le flou, je trouve que ça le rend encore plus effrayant.

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Et tourner pour Amazon, y a-t-il des contraintes ?

FR : Amazon a été d’un support irréprochable sur cette production. Ils nous ont vraiment laissé faire les choix de mise en scène qu’on souhaitait, notamment par rapport aux plans-séquences. Je pense qu’ils voulaient tout simplement qu’Alfonso mette en œuvre ce qu’il avait en tête. Un bon exemple, c’est le flashback dans le ghetto de Varsovie. Un plan-séquence de nuit effectué au Cablecam avec une centaine de figurants, des camions qui passent et beaucoup d’action pour les comédiens. Un plan qui nous a pris une nuit complète entre les répétitions et le tournage. Tourné, et c’est une coïncidence pour moi, à Patterson dans le New Jersey [la même ville qui avait servi de décor au film de Jim Jarmusch, photographié par Fred Elmes, en 2016 - NDLR].

Un autre souvenir qui vous a marqué ?

FR : Une scène toute simple m’a pris par surprise. C’est le premier dialogue à deux entre Meyer (Al Pacino) et Jonah (Logan Lerman), juste après les obsèques. Ça se passe sur le perron de la maison. C’était la première scène à tourner dans le plan de travail avec Al Pacino, et personne de l’équipe n’avait jamais travaillé avec lui. Bien sûr, des répétitions préalables avaient eu lieu avec le metteur en scène, mais se lancer dans une première scène en extérieur avec lui, sachant qu’il n’était dispo que trois heures... La météo pouvait changer ou des nuisances sonores arriver, dans la rue un nombre de choses conséquent peut arriver… Bref, on était dans nos petits souliers. Je dois avouer qu’il a été impérial sur cette scène. Jouant le jeu dès les premières minutes, avec grâce et naturel, mettant toute l’équipe en confiance. Si vous regardez bien la scène, il y a un moment où il se penche tout près de Logan pour le réconforter. Ces deux ou trois plans très serrés sont des instants magiques pour moi. Il savait exactement jusqu’où se pencher près de la caméra, en total contrôle de la situation. Je le filmais... mais c’était bien sûr Al qui contrôlait tout dans l’image. En revoyant la scène, je trouve que c’est une superbe introduction de son personnage.

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(Entretien réalisé par François Reumont, pour l’AFC)

Hunters
Réalisateur : Alfonso Gomez-Rejon (pilote)
Directeur de la photo : Fred Elmes, ASC (pilote)
Chef décorateur : Curt Beech
Costumes : John Dunn 
Son : Matt Perry Thomas (mixeur)