Goliath

Goliath est ma deuxième collaboration avec Frédéric Tellier. Nous avons commencé à échanger très en amont du tournage avec Frédéric et le chef décorateur, Nicolas de Boiscuillé, ce qui fut enrichissant pour affiner nos directions. La construction du scénario, en trois actes, avec ses trois personnages principaux, m’a d’emblée questionné dans la manière de les traiter cinématographiquement.

Avions-nous envie d’une grammaire différente pour l’un, d’une texture particulière pour l’autre ? Comme pour son précédent film, nous nous sommes basés sur des références de films, de photos pour entamer cette discussion.
Les différents décors que traversait chaque personnage marquaient déjà pour chacun un univers propre : le personnage de France et la ruralité, Patrick évoluant dans un Paris souvent de nuit, Mathias et son environnement luxueux. Pour renforcer ces différences, j’ai proposé à Frédéric de leur allouer à chacun une série d’optiques particulière.
La série C Primo anamorphique, avec ses déformations, ses aberrations chromatiques et ses flares, correspondait bien à l’univers de France (Emmanuelle Bercot). Sa colère, son combat pour la reconnaissance de l’impact des pesticides sur la maladie de son compagnon, pouvaient se traduire par l’explosion lumineuse en dehors du cadre, qui est une caractéristique de cette série. Et le côté organique de ces optiques nous a permis de retranscrire une campagne bretonne vibrante.

Photogramme
Capture d’écran

La série Cooke anamorphique Xtal Xpress avec tous ses "défauts", ses distorsions colorimétriques, son manque de définition, ses flares puissants, pouvait visuellement retranscrire les failles de Patrick (Gilles Lellouche), un avocat spécialisé en droit environnemental. Le fondant ainsi dans ses décors parisiens brumeux, filmés souvent de nuit. Sensible, fragile, il se confronte aux multinationales qui contrôlent les secteurs de l’agrochimie.

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La série anamorphique moderne Panavision T, qui est piquée, contraste, sans trop d’aberrations, s’accordait bien à Mathias (Pierre Niney), un jeune patron d’un cabinet de lobbyiste. Elle convenait bien à ce personnage ambitieux et cynique, sûr de lui, qui évolue dans ces décors froids, aseptisés et symétriques.

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On peut trouver ça un peu théorique, pas assez tranché à l’écran, mais je suis sûr que chaque série m’a conduit inconsciemment à éclairer, penser et cadrer différemment.

Lorsque nous avons abordé la conception de la lumière du film, Frédéric m’a indiqué précisément ce qu’il souhaitait pour ce projet. Il avait envie, lorsque c’était possible, d’éclairer très fort.
Sur les séquences de jour, par exemple, à travers les fenêtres, l’idée était d’inonder les décors de hautes lumières. Pour ce film, il avait le désir d’une autre direction de lumière dans les décors. Les faisceaux de lumière devraient se propager pour arriver sur les côtés, en biais, et pourquoi pas de face. Allant même jusqu’à littéralement exploser le capteur de l’Alexa dans les hauts de la courbe, sans laisser de détails, en écrêtant totalement le signal.
Passionnant évidemment, surtout que cela n’était pas vraiment le style de lumière que j’ai l’habitude de faire. C’est en visionnant de nouveau Révélations, éclairé par Dante Spinotti, que je me suis lancé dans cette direction. Et ce fut le début d’un travail sur une ré-interprétation des lumières de ces films des années 1990.
Dans le film Gomorra, on peut également sentir ces lumières qui viennent surexposer des visages, un mur, à l’arrière plan… Et enfin l’éclat des photos de Gueorgui Pinkhassov et Rinko Kawauchi a fini par me convaincre d’aller dans cette direction radicale.
Pour accentuer cette lumière abrasive, inconfortable, qui annonce une menace sourde, nous avons décidé de ne pas trop ajouter de fumée. L’utilisation de filtres White Promist m’a permis, malgré tout, de mettre du glow dans ces hautes lumières numériques pour adoucir l’ensemble. J’ai privilégié des réflexions spéculaires, en évitant toute diffusion, et Michel Sabourdy, le chef électricien, a ressorti ses miroirs.

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Lorsque les décors m’empêchaient de faire entrer de la lumière par l’extérieur nous avons utilisé le terme "ambiancer" avec Frédéric, pour traduire le fait que nous chercherions une teinte sur ces séquences à l’étalonnage. Toutes celles, par exemple, qui se passent dans les buildings modernes au 15 ème étage, donc incontrôlables en lumière, ont été pensées et filmées avec une LUT qui apportait la teinte souhaitée.
Nous avions aussi un vrai défi sur une séquence du nuit qui commençait sur un chemin en bord de mer et qui finissait avec France et son compagnon dans une baignade nocturne. Naturellement, j’aurais préféré éclairer ce genre de séquence en vraie nuit. Au vu de la complexité et de l’étendue du lieu, j’ai proposé une nuit américaine tout en hésitant encore à tourner un soir de pleine lune.
Nous avons donc fait des essais avec une caméra Panasonic VariCam 35 de nuit sur le décor. Ces tests se sont révélés passionnants. Les images de ces nuits étaient très belles, très denses. Mais pour le tournage, cela me semblait trop risqué. Par contre, ces images tests sont devenues ma référence indispensable pour l’étalonnage de la nuit numérique.
Durant le tournage de cette séquence, j’ai privilégié un éclairage en contre-jour, mais je n’ai rien ajouté pour sortir les visages de l’obscurité, laissant les acteurs en silhouette. Les VFX sont intervenus pour ajouter un ciel étoilé et la lune.

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Pour la grammaire de ce film, ce qui revenait chez Frédéric, c’était un désir de caméra à l’épaule, sans machinerie. Une caméra qui, à la manière du film Gomorra, irait chercher les personnages pour les suivre au plus près, pour les perdre ensuite.
Il y avait aussi des plans à l’épaule dans la durée, avec amorces que l’on aimait bien dans le film Biutiful. Il y avait de façon générale cette envie de liberté de mouvements et nous avons décidé de l’étendre à tout le film.
Le plan de trois-quart dos, proche du visage des comédiens, s’est vite imposé dans les séquences de confrontation. On laisse ainsi entrevoir le regard, sans dévoiler toutes les expressions. J’ai trouvé que ces valeurs de cadre nous donnaient la sensation d’être avec le personnage, dans son point de vue, et de partager ses sentiments, à son rythme.
Enfin, lors de l’étalonnage, avec Aline Conan, nous avons accentué les différences de textures et de teintes pour chaque personnage. Notamment en ajoutant une une dose de grain à l’image selon les parties, très peu pour le personnage de Mathias, un grain fin pour France et plus marqué pour Patrick.
Le contraste de l’image, assez fort, se traduisait par une partie blanche (une lumière totalement surexposée) et noire dans chaque image du film.
Ce fut un tournage intense, entouré d’une formidable équipe que je remercie encore.

Bande annonce


https://youtu.be/I3gZ6Iz6yQI

Goliath
Producteur : Julien Madon
Chef décorateur : Nicolas de Boiscuillé, ADC
Chef costumes : Charlotte Betaillole
1er assistant réalisateur : Christian Alzieu
Directeur de production : Marc Fontanel
Superviseur VFX tournage : Guillaume Le Gouez
Postproducteur : Nicolas Bonnet

Équipe

Premier assistant opérateur : Antoine Delaunay, assisté de Chloé Suau et Laura Mestre
Chef électricien : Michel Sabourdy, assisté de Johan Bors
Chef machiniste : Jean-Pierre Deschamps, assisté d’Hervé Le Berrigaud
Cadreur 2e caméra : Roland Mouron
Etalonneur rushes : Mickaël Commereuc
Etalonneuse : Aline Conan

Technique

Matériel caméra : Panavision (Arri Alexa Mini, série C Primo anamorphique, zoom T4 Panafocal anamorphique 50-95 mm, série Cooke Xtal Express Anamorphic, série Panavision T Anamorphic) Merci Alexis Petkovsek !
Matériel lumière : Transpalux
Matériel machinerie : Panagrip
Drone : eStead
VFX : Compagnie Générale des Effets Visuels
Laboratoire : Le Labo Paris

synopsis

France, professeure de sport le jour, ouvrière la nuit et militante ; Patrick, obscur et solitaire avocat parisien spécialisé en droit environnemental ; et Mathias, lobbyiste et homme pressé, vont voir leurs destins bouleversés et entremêlés par l’acte terrible d’une agricultrice désespérée.