Grand écart cinématographique à la soirée d’ouverture du festival de Locarno

par Jacques Mandelbaum

Le Monde, 3 mai 2007

Mercredi 1er août au soir, le Festival de Locarno inaugurait la soirée d’ouverture de cette soixantième édition sur la grandiose Piazza Grande, avec ses huit mille places assises en plein air et son écran géant. Plus que jamais, la vieille et impure alliance de l’art et de l’industrie y fut consacrée. Dans les discours, le président Marco Solari remerciant en italien le plus vieux sponsor du festival sous les espèces d’une banque suisse, et Frédéric Maire, son directeur artistique, rendant un parfait hommage en français aux trois récentes morts qui endeuillent le monde du cinéma : celles d’Edward Yang, Ingmar Bergman et Michelangelo Antonioni.

Cette nécessaire alliance était aussi sensible dans l’étrange réunion des deux films projetés durant cette soirée. Signé de Fumihiko Sori, le premier, Vexille, est un manga de science-fiction produit pour 10 millions de dollars et d’ores et déjà vendu dans soixante-quinze pays. L’action se déroule en 2077 au Japon, désormais coupé du monde par une barrière magnétique, tandis que l’industrie robotique qui y a pris le pouvoir a transformé la population du pays en androïdes. Un commando américain va néanmoins réussir à s’infiltrer dans le pays. Cette fantasmagorie futuriste à grand spectacle remet sur le métier le spectre de l’anéantissement de l’humanité par la technologie. Techniquement brillant mais fondamentalement grisé par sa volonté de puissance, le film n’est pas loin de contredire le message qu’il prétend défendre.

La chair et l’esprit
Il ne saurait être plus éloigné, la comparaison n’étant dictée que par la coïncidence de cette soirée, de Sarabande, drame intimiste et ultime film d’Ingmar Bergman projeté ensuite en hommage au cinéaste. Tourné aussi en vidéo numérique, mais au plus près de la chair et de l’esprit, Sarabande prouve, s’il en était besoin, que la technologie n’est pas une fatalité, contrairement à la famille. Ce genre de grand écart fait précisément le charme de Locarno.

Dans l’attente d’une compétition qui garde pour l’heure son mystère, le programme en promet déjà d’autres, entre l’hommage rendu cette année à l’un des plus grands cinéastes vivants, le Taïwanais Hou Hsiao-hsien, et la rétrospective consacrée aux divas et autres divines du cinéma italien (d’Alida Valli à Laura Morante), qui ravira les zélotes du glamour cinématographique. Soixantième anniversaire oblige, le festival a enfin invité des cinéastes passés par Locarno à présenter à un public renouvelé le film qui les y a fait connaître. Claude Chabrol accompagnera ainsi Le Beau Serge (1958), Marco Bellocchio Les Poings dans les poches (1965), Raul Ruiz Très tristes tigres (1969) et Catherine Breillat 36 fillette (1988).
(Jacques Mandelbaum, Le Monde du 3 août 2007)