Hélène Louvart, AFC, évoque le tournage de "Murina", d’Antoneta Alamat Kusijanovic

by Hélène Louvart

[ English ] [ français ]

Depuis les années 1990, la directrice de la photo Hélène Louvart, AFC, collabore avec de nombreux réalisateurs français et internationaux. Avec Murina, elle signe l’image du premier long métrage de la Croate Antoneta Alamat Kusijanovic. Ce film est en sélection à la Quinzaine des Réalisateurs de cette 74ème édition du Festival de Cannes. (BB)

Sur une île au large de la Croatie, l’adolescente Julija vit une vie isolée sous la domination oppressante de son père, aux côtés de sa jeune mère. Les choses changent avec l’arrivée d’un ami de la famille, avec lequel Julija commence à ressentir un lien indéniable.
Avec Gracija Filipovic, Leon Lucev, Danica Curcic, Cliff Curtis

La terre et l’eau

Hélène Louvart : Murina se situe dans deux univers très différents : l’eau et la terre. La terre c’est la maison familiale qu’on ne quitte que pour aller sur ou sous l’eau.
C’était une expérience nouvelle pour moi que de filmer sous l’eau, ainsi qu’à la surface de l’eau, depuis un bateau.


Repérage et découpage, la précision indispensable pour les fonds sous-marins

HL : Le film a été tourné entièrement en Croatie et nous avons passé beaucoup de temps en repérages à visiter des lieux sous l’eau. C’était très abstrait pour moi au début, n’ayant pas vraiment d’expérience de tournage aquatique. Cela a été un travail de collaboration dés le départ avec Zoran Mikincic, le spécialiste en Croatie des prises de vues sous-marines.

Les repérages ont été très précis, nous avons établi le découpage avec la réalisatrice, prévu les axes, les champs-contrechamps, les valeurs de plans…exactement comme sur la terre ferme…
Même si les scènes sont sans dialogues, le découpage restait indispensable.
Nous avons repéré les trois régions dans lesquelles il était prévu de tourner : les fonds sous-marins (Dubrovnik), une région d’îles désertes pour les scènes de bateau (Kolocep), et Hvar pour la maison.

Tournage sous l’eau : la lumière

HL : En plus de Zoran, nous avions des hommes-grenouilles spécialisés en prises de vues aquatiques, en machinerie et en lumière également.
Les fonds sous-marins sont assez bleus, cyans, avec quelques fois des mélanges de couleurs du fait de la présence de murs ou de roches végétales marron, violets sombres, ou orange. Les projecteurs étaient des LEDs sur batteries, modulables chaud/froid et je rajoutais des gélatines de couleurs pour compenser ou accentuer les teintes naturelles. L’équipe de prises de vues sous-marines tenait les projecteurs à la main, ou bien les calait entre des roches.

Pour certaines scènes, nous devions couper l’excès de lumière du soleil avec de grands tissus noirs posés à la surface de l’eau.
Les scènes de nuit sous l’eau sont éclairées avec des projecteurs placés hors de l’eau sur des rochers, que je pouvais moduler à distance, pour reprendre l’effet lampe de poche de Julija.

Pour la communication avec l’équipe, je pouvais donner des directives par talkies sous-marins. Zoran me répondait par signes.

Les raccords, les effets spéciaux

HL : Murina, la murène en croate, est un serpent aquatique chassé avec le harpon. Il se cache en profondeur dans des rochers. Sur une séquence, le père de la jeune héroïne se fait attraper par une murène et une flèche vient toucher son torse, envoyée par sa fille (scène de cauchemar). Nous avons tourné ce plan dans une piscine puis la murène a été ajoutée par la suite en 3D.

D’autres raccords ont été tournés en studio, comme par exemple lorsque la jeune fille traverse un tunnel de pierre, ainsi qu’un plan où elle devait passer dans un "trou de roche" sous l’eau, en nuit, que nous avons également tourné dans une piscine, pour des raisons de sécurité.

Mais nous avons aussi tourné beaucoup de plans sur un bateau, ou sur une barque.

Un seul lieu sur la terre ferme, la maison familiale

HL : Nous devions accompagner la dramaturgie des scènes dans la maison en trouvant une manière de filmer différente à chaque fois. Nous avons pour cela alterné les prises de vues classiques (sur pied, sur travelling ou avec l’Easy Rig) avec des prises de vues réalisées avec un Ronin.

Une très bonne équipe

HL : Toute l’équipe croate a été extraordinaire, avec une grande expérience du milieu aquatique.
Murina est inspiré du dernier court métrage d’Antoneta, Into the Blue.

Propos recueillis par Brigitte Barbier, pour l’AFC