Henri Cartier-Bresson nous a quittés

AFC newsletter n°135

Henri Cartier-Bresson fut aussi cinéaste... - Photo Martine Franck - Magnum Photos
Henri Cartier-Bresson fut aussi cinéaste... - Photo Martine Franck - Magnum Photos

Né en 1908, à Chanteloup, près de Paris, il grandit dans un milieu aisé.
En 1927, à Montparnasse, il fréquente l’atelier d’André Lhote, peintre épris de Cézanne et théoricien de la composition : « Il m’a appris à lire et à écrire. C’est-à-dire à photographier. »
Parti en Patagonie sur les conseils de Paul Morand, il aboutit en Côte d’Ivoire à 22 ans.

C’est par le reportage, qu’il assimile à l’instantanéité du dessin, qu’il vient à la photographie dans les années 1930. Il brandit l’appareil comme un carnet de notes. il achète, à Marseille en 1932, l’un des tout premiers Leica, sans lequel, a-t-il toujours répété, il ne serait jamais devenu photographe. « Il est le prolongement de mon œil », ajoutera-t-il.
Grâce au Leica, appareil discret et maniable, Cartier-Bresson a trouvé son outil. « Je ne quittais jamais mon appareil, toujours à mon poignet. Mon regard balayait la vie, perpétuellement. (...) Je partais fouiner, il n’y a pas d’autre mot, j’allais flairer avec l’appareil. »

Son style est d’emblée parfaitement défini. Distant, neutre et concis, il se caractérise par un sens aigu de la perspective et de l’agencement des volumes.
Lors d’une expédition ethnographique, il se retrouve en 1934 au Mexique, où il fait la connaissance d’Alvarez Bravo. Il y tire lui-même ses épreuves, qui sont à considérer comme ses seuls véritables " originaux ".
A New York, il s’initie au montage cinématographique avec Paul Strand.
En 1937, il épouse Ratna Mohini, une danseuse javanaise. Et devient second assistant de Jean Renoir pour trois de ses films dont La Règle du jeu.
Prisonnier de guerre dans les Vosges en 1940, il réussit à s’évader.

Après une année de reportages aux Etats-Unis pour compléter son exposition " posthume " de 300 photographies au Museum of Modern Art de New York (on le croyait alors disparu à la guerre), c’est la naissance de l’agence Magnum, le 22 mai 1947, dont le nom va entrer dans l’histoire du photojournalisme.
Quatre fondateurs - Robert Capa, David " Chim " Seymour, George Rodger et Cartier-Bresson, qui vont se partager le monde.
Cartier-Bresson file en Asie. En Inde d’abord, qui deviendra, avec le Mexique, le pays de son cœur.

Il a beau récuser l’étiquette de journaliste de presse, il a été un témoin majeur de tous les grands événements du monde. Que ce soit la Libération de Paris ou, en 1949, les derniers jours du Guomindang, à Shanghai dont une photographie qui sera publiée le 29 mars 1949 dans le n° 1 d’un nouvel hebdomadaire : Paris Match... _ Expédiées à Paris, ces photographies ont, vu leur contexte, des légendes précises. _ Un point que les photographes de Magnum défendront comme un droit d’auteur, avec vigueur.
Petit mot de Cartier-Bresson à ses collègues éditeurs de Magnum, à Paris : « Je veux que les légendes soient strictement des informations et non des remarques sentimentales ou d’une quelconque ironie. (...) Laissons les photos parler d’elles-mêmes et pour l’amour de Nadar ne laissons pas des gens assis derrière des bureaux rajouter ce qu’ils n’ont pas vu. »

Une comédie humaine défile dans son viseur, imprévisible, vivante et magnifiée par le rendu de l’espace où chacun trouve sa juste place.
Henri Cartier-Bresson photographie « comme un chat, sans déranger ». Ses images impeccables, si classiques dans leur forme, restent instantanées car elles sont intrinsèquement liées au plaisir de la prise. H. C.-B. savait qu’en toutes circonstances, « la vie ne s’exprime qu’une fois pour toutes ». Rien n’est dû à la chance dans ces vues superbement cadrées où se combinent tout à la fois la tension, la grâce et l’émotion.
« Le secret, c’est la concentration », dit-il. Tout repose sur l’élasticité du doigt. Le tir photographique ou le plaisir tactile et sensuel de la prise, ainsi qu’il l’a clairement expliqué dans sa théorie de « l’instant décisif ».

En 1966, il s’était retiré de l’agence Magnum, tout en lui concédant l’exploitation de ses archives. Et, depuis 1973, il se consacrait surtout au dessin, crayon et fusain, à Paris ou dans les Alpes.

Le maître du " hasard objectif " a toujours récusé le mot d’ " art " pour son travail. Loin de se considérer comme un " classique ", il se déclarait pickpocket, funambule ou artilleur.
Sous l’apparence d’une logique sèche, la photographie était son mode de vie. Et le reportage sa véritable famille. Henri Cartier-Bresson a réalisé une œuvre immense dont lui-même résumait ainsi la portée : « Pour comprendre l’histoire, vous devez garder une certaine forme d’innocence. Mon seul secret fut de prendre mon temps, et surtout de prendre le temps de vivre avec les gens... et puis de savoir m’oublier. »

(d’après Brigitte Ollier, Libération et Patrick Roegiers, Le Monde, 5 août 2004)

L’AFC présente ses sincères condoléances à Martine Franck et la remercie, ainsi que l’agence Magnum Photos Paris, pour l’autorisation de publication de la photo d’Henri Cartier-Bresson.