Hommage à Giuseppe Rotunno

Très Cher Peppino,
Je ne pense pas qu’il existe sur terre un chef opérateur qui ne soit jaloux de ta filmographie, et ceci n’est pas un hasard, mais le fruit de ton travail, de ta conscience professionnelle et bien sûr de ton talent : c’est pour cela que nous avons décidé, avec différentes institutions françaises, de te rendre hommage.

La première fois que je t’ai rencontré, c’était en 1966 à Rome, pendant l’occupation du Centro Sperimentale di Cinematografia, et tu avais accepté de recevoir un groupe d’étudiants en photographie dont je faisais partie. Je me souviens n’avoir apprécié que modérément le dialogue qui en avait résulté. Sur le plan humain, nous avions été conquis par ta générosité et ta modestie, même si nous trouvions, à l’époque, les films que tu avais signés un peu commerciaux, un peu " bourgeois " (je me souviens que je n’avais pas beaucoup apprécié Il gattopardo (Le Guépard), que je considère aujourd’hui comme un des plus beaux films de l’histoire du cinéma ! Quelle honte ! ).

Mais sur le plan strictement professionnel, nous fûmes un peu déçus et déstabilisés, ceci pour une raison bien simple : à vingt ans, quand on rencontre un directeur de la photographie de ton envergure, on a surtout envie d’apprendre des recettes, des formules pour les prises de vues, des astuces pour obtenir une photographie à effet, volontariste, trop souvent une fin en soi, comme tu dirais !
Nous pensions que l’opérateur faisait " de la photographie ", en appliquant des recettes secrètes et des subterfuges auxquels personne d’autre ne pouvait accéder.
Ce n’est qu’après avoir participé à quelques films en tant que directeur de la photographie que j’ai compris en quoi consiste notre travail, et ce fait, il me semble, est à créditer aux écoles de cinéma. À cette époque, je n’avais pas compris que le directeur de la photographie doit saisir ce que le cinéaste recherche, et sa mission consiste à collaborer avec le réalisateur, à établir une relation de complicité avec lui, à l’aider à mettre en place l’univers visuel du film. Je n’avais pas compris que la photographie d’un film est un des piliers, une des colonnes sur laquelle repose la création, la mise en scène, toute l’œuvre. La photographie participe à l’élaboration d’une atmosphère, d’une émotion ou au contraire à la distanciation, à la rupture de la narration, si le film le demande. Cet équilibre fragile, nous le retrouvons dans tous les films que tu as tournés.

Ta photographie n’est jamais arrogante, elle ne s’impose jamais comme un élément solitaire ou isolé du film. Elle est au contraire le mouvement, le résultat d’une action cohérente, parallèle et donc efficace. Le raffinement avec lequel tu travailles, dans les bons films, est présent et évident, au service du film et donc de la photographie. Il me semble que l’existence d’un bon film avec une mauvaise photographie, ou le contraire, est incompatible. Une petite partie de l’espace d’intervention de l’opérateur se superpose souvent à la mise en scène. Où se situe la frontière du travail du réalisateur et de celui de l’opérateur ?

Je me suis demandé à plusieurs reprises quel est précisément l’espace que tu occupes, dans ta relation avec le réalisateur, quand et comment adviennent les choix déterminant à la réalisation de la photographie, et, par exemple, ta contribution au découpage, aux choix des plans, le choix de focales, la mise en place et le rythme du plan, le rapport aux acteurs et, bien évidement, le choix des lumières. Nous aurons la possibilité d’en discuter ensemble lors de ta présence, qui nous honore, à la Cinémathèque française.
Merci Peppino.

Découvrez le port-folio de la rencontre dans le cadre de L’expérience cinéma organisé par la Cinémathèque le 25 mars 2006 en présence de Renato Berta, Pierre Lhomme, Diane Baratier.