Hôtel Woodstock

in AFC newsletter n°190 Other ratio

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Sorti assez jeune de l’Ecole nationale supérieure Louis-Lumière, Eric Gautier, se forme au métier d’opérateur en tournant des courts métrages. Signant l’image de plus d’une cinquantaine de ces films, il met en pratique sa passion pour la mise en image de fictions. C’est avec Arnaud Despleschin que sa carrière en long métrage démarre (La Vie des morts en 1991). Depuis, outre les liens fidèles avec ce réalisateur (Esther Kahn, Rois et reines, Un conte de Noël...), d’autres collaborations régulières ont suivi avec Olivier Assayas, Patrice Chéreau, Claude Berri ou Alain Resnais.
Depuis Motorcycle Diaries de Walter Salles, Eric Gautier partage son temps entre les projets français et étrangers. Comme avec Into The Wild de Sean Penn en 2007 ou aujourd’hui Hôtel Woodstock de Ang Lee.

Comment vous êtes vous immergé dans un tel film d’époque ?
Eric Gautier : Ang Lee est un réalisateur qui prépare énormément ses films, surtout quand il tourne aux Etats-Unis. Même s’il connaît la culture américaine (pour y vivre maintenant depuis près d’une trentaine d’années), c’est à Taiwan qu’il a vécu à la fin des années soixante. Et concernant particulièrement Woodstock, je crois qu’il était passé là bas un peu à côté de tout ça. Le film nous a donc demandé un travail de recherche énorme, de documentation, et d’entretiens avec les gens qui avaient vraiment vécu cette aventure. Parmi nos interlocuteurs, il y a eu notamment David Silver, un documentariste qui a fait pas mal de films sur les groupes de rock de l’époque, et qui nous a fourni beaucoup de matière pour construire l’image et l’univers du film. Personnellement, on m’a aussi préparé un énorme dossier d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur regroupant une somme très complète d’images, de biographies, de témoignages importants sur ce qui s’était passé. A la suite de cette lecture je me suis même aperçu que je ne connaissais pas si bien que ça cette période ! Sans parler bien sûr du livre sur lequel le film est basé, dont Elliot Tiber (l’auteur, incarné à l’écran par Demetri Martin) est venu en personne nous conseiller.

Vous êtes-vous inspirés du très célèbre film documentaire Woodstock ?
EG : J’ai rencontré deux cameramen qui avaient participé au tournage de ce film. Ce qui est étonnant c’est que ce n’étaient absolument pas des opérateurs, mais plutôt des étudiants, sans grande expérience de la prise de vues. Et pourtant les images sont vraiment splendides, avec des cadrages brillants... un documentaire d’exception. En fait, on devait même se servir d’images d’archives tirées de ce film au départ... On devait même taper dans le stock des rushes.
Il faut savoir que ce film n’a utilisé qu’une minuscule partie des heures tournées par les différentes équipes sur le site. On était d’ailleurs tous très excités de découvrir ça, et d’avoir accès à cette sorte de trésor historico cinématographique ! Mais la gourmandise des ayants droits américain a fait capoter l’opération... Sans compter les coûts énormes qu’il aurait fallu engager pour faire le télécinéma...

Finalement on a décidé de tout refaire nous-mêmes. Et j’ai décidé de retenter le côté " non professionnel " en confiant le travail à un petit groupe d’une quinzaine de jeunes opérateurs, parfois étudiants, assistants au casting ou à la mise en scène... On leur a confié des petites caméras seize millimètres et une copie du film Woodstock pour l’inspiration... Après ils ont eu carte blanche pour nous ramener du matériel au gré de ce qu’ils pouvaient trouver sur le plateau, principalement lors des séquences de foule.
En jouant sur différentes émulsions, et leur développement, on a pu ensuite récupérer une réelle variété de texture dans ces plans. Comme j’avais laissé au maximum les commandes de la prise de vues, toutes ces petites erreurs et ces différents accidents évoquent parfaitement ce qu’on retrouvait dans le documentaire Woodstock. Et nous n’avons finalement utilisé aucune archive.

Pour parvenir à une telle authenticité, vous avez du mettre le paquet sur la direction artistique...
EG : Le travail du département costumes a été proprement invraisemblable. C’était le plus gros poste du film en terme de budget. Avec un résultat à l’écran inouï. Quand on regarde avec attention tous les arrières plans la figuration, on s’aperçoit de la richesse et la diversité de tout ce qui se passe. D’ailleurs Ang Lee avait même écrit de nombreuses " micro scènes " pour certains groupes de figurants, avec des dialogues et des situations qu’on ne voit autrement qu’en arrière-plan sans même enregistrer le son...

La séquence de la fête improvisée où Elliot assume en public son homosexualité est aussi assez importante dans l’histoire...
EG : Pour moi cette séquence est vraiment tournée à la Casavettes. J’ai travaillé pas mal avec le maquillage pour obtenir des brillances sur les peaux, sentir la chaleur et la sueur. Comme tout le reste du film, une séquence tournée à deux caméras. En jouant sur la souplesse extraordinaire des pellicules modernes dans les ombres.
Je ne suis pas sûr qu’Ang Lee avait au départ dans l’idée de quelque chose aussi sombre... Mais finalement je crois qu’il a apprécié ce rendu sensuel.

Avez-vous fait des tests précis sur le rendu de certaines couleurs, comme le vert des prairies, qui est très présent dans le paysage ?
EG : C’est là où l’étalonnage numérique est d’une aide précieuse. En effet, le vert accompagne le film et pour Ang Lee, c’était vraiment la couleur de la jeunesse et de l’innocence. Grâce a la postproduction numérique, on a pu renforcer le vert et trouver exactement la tonalité qu’il souhaitait. Surtout pour ce début de film, ou on doit sentir la sensualité, la chaleur de l’été.
On n’a d’ailleurs tourné pas loin des lieux historiques du festival, à trois heures au nord de New York, dans un endroit où la nature est étonnement luxuriante.

Quelles caméras et optiques avez-vous choisies ?
EG : J’ai tourné principalement en 35, avec une combinaison de trois caméras, une Arricam Lite, une Studio, et une Aaton 35 III. Niveau optique, j’ai tout fait en Cooke S4, en association avec des zooms Angénieux. Pour filmer en Super 16, nous avions deux Arri 416, et pour les séquences confiées aux opérateurs fausses images d’archives 16mm, c’étaient des Bolex, des Eclair 16 et des Arricon.

Et la Pénélope, la nouvelle Aaton qui filme en 2P ?
EG : La Pénélope n’était pas encore sortie sur ce film, et je n’ai pu l’utiliser que sur le nouveau tournage que je viens d’achever cet été en Israël avec Julian Schnabel (le réalisateur du Scaphandre et le papillon).

Quelle chaîne de postproduction avez-vous utilisée ?
EG : A l’origine, on avait prévu une postproduction en 4K. Mais après quelques tests, on est passé en 2K pour éviter un coté trop piqué et clinique à l’image. Là encore un moyen de conserver une certaine douceur à l’image, sans que ça fasse trop moderne à la fin en projection. Cette étape s’est effectuée avec beaucoup de facilité chez Deluxe, dans la toute nouvelle filiale new-yorkaise de ce laboratoire réputé.

(Propos recueillis par François Reumont)