"Il faut défendre l’Avance sur recettes"

Par Paul Otchakovsky-Laurens

AFC newsletter n°238

Le Monde, 25-26 décembre 2013
De 2011 à 2013, j’ai eu le privilège de présider l’Avance sur recettes au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Qu’est-ce que l’Avance sur recettes ? C’est un système d’aide sélective à la production de films de cinéma dont le but clairement affiché est de soutenir et de favoriser la diversité, la richesse et le renouvellement du cinéma français. Ce n’est pas le seul dispositif créé par le CNC, mais c’est le plus emblématique.

Trois collèges répartissent cette aide entre les projets de premiers films, ceux des seconds films et suivants, et enfin les films réalisés quand leur financement n’est pas bouclé au moment de leur sortie en salles et que, bien sûr, ils n’ont pas bénéficié de l’avance avant réalisation. Il s’agit de longs-métrages de fiction, de documentaires ou d’images animées ; il s’agit de films parlant français majoritairement ou une langue régionale parlée en France.

Les deux premiers collèges se prononcent sur scénario, le troisième sur projection. Ces collèges sont composés de 9 membres pour les deux premiers, de 13 pour le troisième, recrutés parmi les professionnels du secteur, ou proches. Ils sont nommés pour une année, renouvelable une fois. A eux tous, ils examinent annuellement pas moins de 600 à 700 projets (647 en 2013), et environ 60 films terminés. Ils ont distribué un peu moins de 30 millions d’euros en 2013, en distinguant 55 films.

Ce système, moins complexe qu’il n’en a l’air et qui fonctionne parfaitement, ainsi que l’action du CNC en général, vient d’être violemment attaqué dans un article du Journal du dimanche du 8 décembre, où s’accumulent contre-vérités et approximations. Il semble que cela soit devenu un sport national apprécié que d’attaquer le CNC, toujours avec la plus grande légèreté dans l’enquête, au choix : les pesanteurs administratives, les décisions contestables, le budget pharaonique, le trésor caché, les procédures opaques, les effets pervers sur l’économie du secteur, la responsabilité dans l’inflation des rémunérations de certaines de nos stars nationales, etc.

Le CNC nouvelle usine à rêves ? A fantasmes, plutôt, dirait-on. Ces attaques ont beau être à chaque fois vaillamment repoussées, chiffres à l’appui, par les services du CNC, elles sont devenues comme les " marronniers " du cinéma français. Venu d’ailleurs mais pas de si loin tout de même, tant l’édition et le cinéma sont amenés à se côtoyer, à souvent travailler ensemble et se préoccupent aussi du même sujet, l’humain, sentimentalement et intellectuellement proche du cinéma, j’ai assisté, étonné, à cette pratique dont la saisonnalité semble devoir s’accélérer.

Pourtant, au cours de mes trois mandats, et je ne pense pas que cela soit naïveté de ma part, je n’ai vu à l’Avance sur recettes que des vertus. Au moment où mon dernier mandat s’achève, je suis choqué de voir l’injustice avec laquelle cette institution remarquable est traitée. Connaît-on beaucoup de milieux où tous les acteurs se mobilisent à ce point dans le fonctionnement d’un organisme d’intérêt général, prennent à ce point sur leur temps de travail et aussi de repos pour non seulement défendre des acquis mais chercher le nouveau ? Il faut tout de même bien que cet organisme ait quelque mérite.

La passion du cinéma
La totalité des commissions et comités du CNC réunit 572 personnes, qui, je le rappelle, sont régulièrement renouvelées. Et, pour la seule Avance sur recettes, entre membres titulaires, membres suppléants et lecteurs, on n’en compte pas moins de 125. De comités de lecture en auditions, de projections en réunions plénières. Car c’est cela que je retire d’abord de ces trois années, la passion du cinéma, partagée à tous les niveaux, à travers toutes les hiérarchies, dans une égalité et une démocratie exemplaires.

Et si, à l’arrivée, nous choisissons, et donc excluons par la force des choses, ce qui explique bien des amertumes, c’est dans la plus grande transparence et avec le souci jamais démenti de l’ouverture et de la diversité de nos choix. Curieusement, cette diversité et cette ouverture sont également critiquées. Un film à gros budget est-il soutenu, nous sommes accusés de voler au secours du succès. Un film d’auteur, comme on dit étrangement? On nous reproche alors de ne pas tenir compte des goûts supposés du public. Mais il faut savoir que des films ne se feraient pas sans l’Avance sur recettes. Et s’il arrive qu’elle soutienne des films qui se feraient sans elle c’est avec cette conviction qu’ils se feront mieux avec elle.

Après la décision de principe de la commission et avant le début du tournage, la fixation du montant des aides se fait aussi de manière collégiale. Ainsi, onze fois par an se réunit un comité de chiffrage, qui comprend, outre les contrôleurs du CNC, le président de l’Avance sur recettes, les vice-présidents de chacun des trois collèges, lesquels sont toujours des producteurs. Devis et plan de financements sont alors examinés à la loupe et font l’objet de discussions très approfondies entre l’administration et les président et vice-présidents de la commission. Là aussi débats et transparence absolue.

En fait, il m’est venu un soupçon. Alors qu’il n’existe peut-être pas dans ce pays d’organisme créé par l’Etat moins étatique que le CNC, je me demande si ceux qui attaquent si férocement ce système d’aide au cinéma que le monde entier nous envie ne sont pas les mêmes que ceux qui, dans le monde du livre, hurlent à la mort du prix unique et aux réglementations annexes qui protègent notre réseau de libraires et, partant, la diversité de l’offre éditoriale.

Des libéraux (économiquement parlant) qui n’ont rien compris à la spécificité de nos métiers et à la fragilité de ce que nous transmettons. Des partisans du désengagement de l’Etat et de la libre concurrence effrénée, ceux-là même qui rêvent peut-être d’un seul multiplexe pour toute la France, voire pour le monde, et d’un seul et même film dans toutes les salles de ce multiplexe de cauchemar. Les films, les livres, la musique, les productions artistiques ne sont pas des marchandises comme les autres, combien de temps faudra-t-il le répéter ? Toujours ? Toujours.

Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) créé en 1946 a vu, en 2009, ses missions s’étendre. Frédérique Bredin en a été nommée présidente, le 15 juillet 2013.

(Paul Otchakovsky-Laurens – éditeur, président de l’Avance sur recettes –, Le Monde, mercredi 25 - jeudi 26 décembre 2013)