Impressions du 25e "Il cinema ritrovato"

par Ronald Boullet

La Lettre AFC n°212

Comme chaque année au début de l’été, la ville de Bologne (Italie) redevient huit jours durant, et autant de nuits, le paradis des cinéphiles en projetant sur quatre écrans les derniers trésors des films " retrouvés " et restaurés.
C’est l’occasion unique pour le millier de participants accrédités – et un large public – de découvertes et de rencontres autour de la projection de plus de 300 films.
Ronald Boullet, directeur des restaurations numériques aux Laboratoires Eclair, qui a accompagné sur place une version restaurée de plusieurs films, nous livre un compte-rendu éclairé.


Le festival " Il cinema ritrovato " s’est déroulé du 25 juin au 2 juillet dernier à Bologne en Italie.

Mélange de spécialistes, de passionnés, de professionnels et de familles Italiennes en goguette, cette 25e édition s’est ouverte avec le Nosferatu de Murnau accompagné, s’il vous plait, par le grand orchestre du théâtre de Bologne. Cette soirée était partagée avec une copie couleur du Voyage dans la lune de Méliès, dont les droits sont récemment tombés dans le domaine public.

Le lendemain soir était réservé à nos amis américains avec une belle restauration du Voleur de Bagdad. Il était étrange de voir à nouveau ce film si souvent exploité à la télé sur grand écran. Mais le kitch du carton pâte et la beauté du Technicolor ont tôt fait d’enchanter petits et grands.

Comme nous sommes en Italie, le cinéma national était aussi au rendez-vous avec une restauration du Conformiste présenté par Bertolucci en personne, La Macchina Ammazzacattivi de Rossellini, un cycle Luigi Zampa, réalisateur parfois qualifié de néo-réaliste rose et une superbe exposition Roberto Benigni.

Le milieu de la semaine était rythmé pour ma part par différents titres restaurés cette année chez Eclair :

French Cancan de Renoir, que j’ai eut le plaisir de présenter en compagnie de Jean Douchet et Gian Luca Farinelli dans sa version restaurée d’après les 3 négatifs Technicolor. Les couleurs éclatantes de Renoir semblent y cristalliser à la fois le Montmartre de son enfance et les couleurs de certains tableaux de son père.

Le Quai des brumes de Carné, tout fraîchement restauré grâce au partenariat intelligent entre Canal+ et la Cinémathèque Française. A noter qu’il s’agit ici de la version de 1938 reconstruite pour l’occasion (le film étant ressorti dans une version légèrement raccourcie en 1946).
Enfin, pour continuer avec Carné, Les Enfants du paradis a été présenté par Jérôme Seydoux sur la grande place. Vu l’état du négatif nitrate, cette première restauration 4K en Europe était un pari complexe mais essentiel à la conservation ainsi qu’à la nouvelle exploitation de ce monument prévue pour décembre. Un des moments magiques de cette édition restera sûrement l’apparition sur le ciel de Bologne d’un orage impressionnant au moment où Garance et Baptiste se font surprendre par la pluie lors de leur première nuit passée ensemble.
Mais trêve de romantisme. Trop de films à voir. Du Scarface, 1932, de Howard Hawks, véritable acte naissance du film de gangster, au Roméo et Juliette dans la neige, 1920, d’Ernest Lubitsch, en passant par Les Hommes préfèrent les blondes, The Artist, La Dolce Vita, Taxi Driver, une série de films érotiques Pathé, Upstream, film de John Ford retrouvé l’an passé en Nouvelle Zélande et en clôture America America.
Le prochain rendez-vous des amoureux de films anciens se déroulera du 3 au 9 octobre 2011 au Festival Lumière de Lyon, qui pour sa 3e édition rendra un hommage à Gérard Depardieu et proposera une rétrospective Jacques Becker. Plusieurs autres titres sortiront pour l’occasion d’Epinay, comme La Guerre des boutons d’Yves Robert, Lumière d’été de Jean Grémillon, et Le Sucre de Jacques Rouffio… Il sera aussi possible de voir à nouveau Les Enfants du paradis même si le ciel est à l’orage, et cette fameuse copie du Voyage dans la lune de Méliès dont les spécialistes aimeraient en savoir un peu plus sur les origines …
Ce festival organisé par Thierry Frémaux et la ville de Lyon a déjà acquis l’estime du grand public. A côté des mondanités, espérons qu’il saura aussi s’ouvrir aux rencontres professionnelles. Car à l’aube du tout numérique, les activités de restauration représentent un enjeu stratégique pour les industries techniques. Migration des métiers, sauvegarde des savoir-faire, respect de l’œuvre, droit moral, discussions techniques, les sujets sont nombreux. Action !