India Song

Où le chef opérateur Romain Alary parle de son travail sur le cilp vidéo de San Zhi, "Give it Up"

[ English ] [ français ]

Après avoir été assistant opérateur - entre autres - auprès de Jean-Claude Larrieu, AFC, Romain Alary est encouragé par ce dernier à passer à l’image à son tour. Il signe depuis le début des années 2010 des publicités et des clips pour des marques telles que Hermès, Cartier, Fendi, Renault ou Honda. "Give it Up", de San Zhi, est le premier clip musical qu’il fabrique avec la collaboration de son cousin Antoine Lévi. Un projet très personnel entièrement tourné en petite équipe. (FR)

D’où vient ce clip en noir et blanc ?

Romain Alary : La source du projet repose dans un voyage en Inde, remontant à une dizaine d’années, que j’avais fait en compagnie de mon cousin, Antoine Lévi. Je me souviens très bien d’une photo en noir et blanc qui m’avait alors marqué à l’époque, avec un homme tout de blanc vêtu à bord d’un bateau observant un enfant au milieu du Gange en train de récupérer les restes des crémations... L’idée nous est venue par la suite de réaliser un film sur la procession jusqu’au bord du fleuve. Un film en noir et blanc, s’inspirant dans l’image de ces photojournalistes des années 1980.
Nous avons fait le choix de financer ce projet sur nos propres fonds, nous sommes donc partis à trois, avec mon assistant opérateur Etienne Burguy pendant une dizaine de jours sur place à Varanasi.

C’est-à-dire que la maison de disques ou l’artiste n’est pas à l’origine du tournage ?

RA : Tout à fait. Le clip a été produit à l’envers. C’est plutôt rare ! On est parti vraiment d’un tournage entre potes, qui pouvait aussi bien se transformer en simple court métrage, pour finalement le proposer à des labels de musique dont l’un d’entre eux nous a convaincu de le monter en clip. Ce qui était extrêmement motivant, c’est qu’on a tourné dans une totale liberté artistique. On peut considérer que le film qui en est ressorti correspond rigoureusement à notre intention de départ, sans concessions ni contraintes. Nous sommes très fiers d’être sélectionnés à Camerimage !

Comment avez-vous procédé ? Le montage a été complété avant même de connaître la musique ?

RA : Une minute de film environ a été montée avec de la musique traditionnelle japonaise (Taiko) comme son provisoire. C’est à partir de cet élément que Guillaume, l’un des membres du groupe The Shoes, s’est décidé et nous a proposé la musique de San Zhi, un groupe avec lequel il a travaillé. On a trouvé tous les deux que l’association entre les images et le son fonctionnait bien.
La conformation, FX et l’étalonnage par Scott Harris ont été faits à Amsterdam chez GlassWorks avec une totale confiance de la part de l’artiste et du label.

Antoine Lévi, Romain Alary et Etienne Burguy
Antoine Lévi, Romain Alary et Etienne Burguy

Revenons au tournage, quels étaient les enjeux principaux ?

RA : : L’une des clés du succès de nos dix jours de tournage en Inde, ça a été la légèreté de notre équipe (uniquement trois personnes) et aussi la qualité du fixeur Raju Verma. Grâce à lui beaucoup de portes se sont ouvertes, et notamment la possibilité de tourner sur le Main Ghat principal de Varanasi (l’endroit sacré au bord du fleuve où les cadavres sont incinérés), chose rarissime pour une équipe de film. Une anecdote amusante : le patron du lieu, qui nous a ouvert ses portes, s’est avéré être l’un des frères de l’homme en blanc présent sur la photo des années 1970 qui nous avait inspirés !

Comme je l’évoquais, le noir et blanc a été décidé dès le départ. J’ai tourné avec une RED Epic avec une LUT en N&B, sans jamais faire attention à la couleur autrement qu’en termes de rendu entre les gris, les noirs et les blancs. Vu l’extrême mélange de couleurs qui peut régner en Inde au niveau de l’éclairage public ou privé, le sodium se mélangeant au mercure ou à des lumières LED improbables, le noir et blanc nous a beaucoup aidés pour unifier les différentes séquences et donner une tonalité forte au film entièrement tourné en lumière naturelle.
Ce qui est amusant, c’est que quand la boîte de postproduction a reçu les éléments en vue de la conformation, eux n’avaient pas eu l’information au sujet du noir et blanc. Le premier jour d’étalonnage, on est arrivé avec Antoine et ils nous ont montré le film conformé en couleur !

À la fois, le clip est plus un dégradé de gris et noir que du vrai noir et blanc...

RA : : On a pas mal travaillé à l’étalonnage pour descendre les blancs et ne récupérer qu’une sorte de dégradé entre noir très profond, gris et blanc assombri. C’est allé de pair avec la prise de vues sur place qu’on a essayé de contrôler le maximum en ne tournant qu’en début et en fin de journée. Le choix des optiques Scope Lomo anamorphiques + RED Epic + noir et blanc était le bon combo pour ce film.

Il y a quand même ce plan avec le crâne qui brûle au milieu de l’eau qui tranche avec le reste...

RA : : C’est la seule image qui n’a pas été tournée sur place mais toujours en petite équipe en conditions de studio à Paris. L’intégration entre le crâne, le feu et l’eau a par la suite été géré par GlassWorks. C’est effectivement un plan un peu à part de par son côté fictionnel, mais il était nécessaire pour renforcer la narration du film.

Heureux ?

RA : L’expérience de ce tournage a été tellement intense humainement et artistiquement pour nous qu’on a décidé de réitérer l’expérience en partant cette année à Tokyo, même configuration / team mais cette fois-ci en Bolex SBM S16 + 25 bobines de Kodak. D’autres projets vont suivre, c’est certain.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)


https://youtu.be/GbPsp5JYH3M

"Give It Up", de San Zhi
Production : Antoine & Romain
Réalisation : Antoine Levi
Fixeur : Raju Verma
Assistant : Golu
Montage : Everest Studio, Paris
Monteur : Manuel Coutant
Coordinatrice de production : Salt Ibraeva
Storyboardeur : Younès Jabrane
Interne : Arturo Perez Orts
Titres et graphisme : Anna Kiosse, Rich Andrews
Musique : écrite, interprêtée, enregistrée et produite par Suraya, Dennis, Charlie Trimbur et The Shoes (avec une petite aide d’Hervé)
Masterisée par Frédéric Labone @GUM

Dans le portfolio ci-dessous, quelques photogrammes et photos de tournage.