International Cinematography Summit Conference (ICSC 2011)

Pendant quatre jours, du 2 au 5 mai 2011, les délégués d’associations de directeurs de la photographie, représentant 22 pays, ont participé à la Première Conference Internationale (International Cinematography Summit Conference) I.C.S.C organisée, à Los Angeles, par l’ASC, à l’initiative de son président Michaei Goi, secondé par Vilmos Zsigmond et Fred Goodich, membres directeurs du Comité International de l’ASC, et par notre confrère et ami Denis Lenoir, AFC, ASC, qui ne ménagèrent pas leur énergie pour que cet évènement exceptionnel se déroule dans les meilleurs conditions.

Les associations européennes étaient majoritairement représentées par des délégués ayant fait le voyage et par d’autres, expatriés aux USA. L’AFC était représentée par sa présidente Caroline Champetier, deux de nos confrères, résidents californiens, Denis Lenoir et Pascal Lebègue ainsi que Richard Andry sur le chemin de retour d’un tournage en Louisiane.
Dès son discours d’ouverture, Michael Goi a souligné que le but de cette " Conference " était d’ouvrir de nouvelles voies en vue d’améliorer et d’accroitre la communication entre les différentes associations de directeurs de la photographie du monde entier, et ce dans les domaines tant techniques qu’esthétiques caractéristiques de notre métier et dans le but d’élever le niveau de respect et de reconnaissance de notre apport artistique spécifique, dans un monde de plus en plus focalisé sur l’évolution technologique et fasciné par les images générées ou améliorées par l’outil informatique.
L’agenda de cette conférence avait été patiemment préparé par l’ASC en étroite collaboration avec les autres associations invitées, appelées, au préalable à faire des suggestions, ce qui avait permis d’ajouter à un programme préalablement très technique, des thèmes plus " politiques ".

Les thèmes débattus ont été les suivants :

  • Comment les associations de chefs op’ peuvent–elles développer, entre elles, et ce au niveau mondial, un réseau permanent d’échanges d’informations concernant notre métier ?
  • La prochaine génération d’opérateurs. Quel est notre rôle dans l’éducation de ceux qui vont nous succéder dans le métier ? Comment pouvons-nous intervenir auprès des studios, gouvernements, ministères de la culture pour faire entendre notre voix en ce qui concerne la formation des jeunes à notre métier ?
  • La prévisualisation et le directeur de la photo. Dans ce domaine, qui a tendance à prendre de l’importance en phase de pré-production, comment imposer notre présence dans le pre-design d’un film ?
  • Le rôle du directeur de la photo dans les nouvelles technologies. Comment pouvons-nous nous positionner pour y participer activement, ou être consultés lors de la production de films faisant largement appel à la création d’images générées par des ordinateurs. Des confrères ayant participé à ce genre de tournage témoigneront de leur expérience.
  • Qui est l’auteur de l’image d’un film ? Les concepts du directeur de la photographie considéré en tant qu’auteur de l’image du film ou bien reconnu par l’industrie comme collaborateur principal de création sont-ils toujours valides ? Comment protéger notre contribution artistique face à l’intervention massive des moyens numériques de postproduction.
  • Comment pouvons-nous promouvoir la valeur de notre apport artistique dans un monde qui y est de plus en plus indifférent. Comme un nombre croissant de directeurs de la photo sont tenus éloignés de la salle d’étalonnage et que notre apport artistique individuel est souvent sacrifié sur l’autel d’une " imagerie générique ", comment pouvons-nous encore transmettre la certitude intemporelle de notre vision ?

Vaste programme qui, n’en doutez pas une seule seconde, (et ce, malgré le " jet-lag " limitant les capacités réactives d’un certain nombre de participants et provoquant quelques brefs piquages de nez), fut le terrain d’échanges passionnants. Chaque délégation apportant de l’eau au moulin de la révolte.
Car, oui, à la lecture de cet agenda, on aurait pu penser que nous allions débattre de la survie de notre espèce. Une vague odeur funèbre. Nul n’en fut le cas et la joyeuse mixité des anciens expérimentés et célèbres et des jeunes enthousiastes inconnus fit souffler un vent d’optimisme sur le presque centenaire Club-House de l’ASC qui hébergeait les débats.
D’autant plus que Haskell Wexler, ASC, 85 ans aux prunes, donnait l’exemple, tenant fermement sa caméra HDV à la main, et sans prendre une minute de repos pendant les quatre jours, immortalisait ces rencontres. On le vit même sortir ses griffes à l’encontre de vieux confrères ASC dont il ne partageait pas (et n’avait sûrement jamais partagé) les idées. L’ASC, géant mythique, impressionnant et référentiel s’ouvrait devant nous, c’était jubilatoire, chaleureux et décomplexant.

Les débats théoriques ne suffisant pas à satisfaire les nombreux sponsors, il nous fallut accomplir quelques exercices pratiques qui alimentèrent nos débats enflammés. Le premier jour dans les Studios Sony à Culver City, nous eûmes droit à une démonstration de matériel de tournage 3D et à un petit exposé sur le thème : " Comment la 3D agit-elle sur notre aptitude à raconter une histoire par l’intermédiaire de l’éclairage et du cadrage ? "

L’utilisation de la 3D dans les séries B ayant une forte tendance à augmenter aux USA, elle ouvrirait, selon certains, un marché important pour les chefs opérateurs et nombre de confrères US et résidents avaient déjà suivi un stage dans ce studio. Pour les adeptes de la 3D, le matériel présenté semblait très efficace, et la technique très au point.
Chez les autres, on pouvait détecter un petit vent de doute et même de lassitude, concrétisé par un haussement d’épaules plus ou moins marqué. Eternel débat qu’on s’épargnera dans ces lignes.

L’après-midi, la projection 4K d’images tournées par Curtis Clark, ASC avec la F65, nouvelle caméra Sony 4K, impressionna certains participants (dont Dante Spinotti, ASC, AIC, plutôt enthousiaste) par sa latitude d’exposition, sa granulation sans artefact (même sous le grossissement de 900 % d’une séquence tournée de nuit).

De retour au Club-House, on eut à débattre de la communication entre les diverses associations. Nigel Walters, BSC rappela qu’il existait une organisation : Imago, qui remplissait ce rôle au niveau européen en liaison, au niveau international avec des membres associés représentant les quatre autres continents et que 20 des 22 sociétés présentes ce jour à la conférence de Los Angeles étaient rattachées d’une manière ou d’une autre, à Imago.
On convainc d’une organisation internationale à construire, certains proposant de s’appuyer sur des réseaux sociaux du type Facebook, d’autres sur l’exemple de la CML (ASC) ou du dialogue-actif (AFC) d’une extension ou d’une intégration d’Imago et même de la création d’une Académie Internationale (Joe Dunton, BSC). Le chantier est ouvert et certains vont se pencher sur le développement du prototype d’un réseau spécifique de liaison. Affaire à suivre. (On espère, très vite)

Ensuite, chacun a exposé l’état de la formation au métier de chef opérateur dans son propre pays. Il y avait sur ce sujet une grande ressemblance entre la France et les USA, avec pléthore d’écoles privées dispensant un sous-enseignement au faible rapport prix/performances.
Il fut décidé de développer les échanges avec les jeunes (et ce, en corrélation avec les solutions aux questions posées au chapitre précédent en ce qui concerne la diffusion des contenus) mais aussi avec le grand public. Intervention de professionnels auprès des étudiants à l’occasion de leurs passages dans des pays amis. Master-classes, etc.

La deuxième journée commença par une visite du département de cinéma virtuel des studios Universal où l’on eu à admirer la maitrise technologique des capteurs de mouvement d’acteurs en connexion avec des images générées par ordinateur. Synthèse impressionnante sur l’écran mais présence quasi insignifiante si ce n’est absence totale du directeur de la photographie dans le " process " et la mainmise quasi totale du " set-designer " (d’après le témoignage de l’actrice expérimentée dans cette technique (Avatar, etc.) présente sur le plateau).
Le chemin de croix continua l’après-midi lors d’un exposé sur la pré-visualisation, avec un débat au cours duquel, heureusement, Caroline Champetier remit les pendules à l’heure. Le cinéma, ce sont des acteurs que l’on filme et éclaire, dans un décor, pas des robots. Et c’est sur le plateau que cela se passe.

Le débat sur le droit d’auteur du directeur de la photographie fut modéré par Caroline et Denis. Chaque pays exposa son état des lieux. Dans une quinzaine de pays européens, les directeurs de la photographie bénéficient du paiement des droits dits " résiduels " engendrés par les diffusions TV, le câble et la copie privée.
Chacun d’entre eux ayant son propre régime. Les représentants de la Pologne semblant, selon leurs dires, vivre au " paradis " des opérateurs en étant considérés comme co-auteurs de l’image d’un film. Pour tous les participants, avant de parler de droit d’auteur, le problème principal sous-jacent à toute question dans ce domaine semble être celui de la reconnaissance de notre apport artistique dans la création cinématographique. En cela il semble y avoir un rapport inversé entre la situation de l’industrie cinématographique d’un pays et la reconnaissance du travail de DP, et les Américains nous ont clairement fait comprendre qu’ils n’avaient aucun droit et que leur présence à l’étalonnage était de plus en plus fréquemment remise en cause !

La 3e journée se déroula presque entièrement à l’Académie des Sciences et Techniques du Cinéma. Tout d’abord sur le thème des nouvelles technologies développées dans le domaine de l’éclairage : les lampes à basse consommation et à faible émission de chaleur, les LEDs qui s’installent petit à petit dans nos " gamelles ".
Après un brillant exposé sur la nature de la couleur suivie d’un survol technique du problème par William Taylor, ASC, nous pûmes nous rendre compte de l’instabilité colorimétrique des lampes LED grâce à un petit film test réalisé par Daryn Osaka, ASC, qui mettait en scène un bon nombre de lampes LED dont on mesurait la température de couleur de leur lumière réfléchie sur un écran blanc. Le désastre est visible à l’œil nu et la lumière tungstène a encore de beaux jours devant elle en tant que référence.

L’annonce que la BBC n’acceptait plus que la pellicule lumière du jour de sensibilité inférieure à 250 ISO pour ses prochains tournages HD sema incrédulité et consternation dans l’assemblée.

Les workflows " propriétaires " sont une réalité dans notre industrie et beaucoup ne fonctionnent que couplés avec un ensemble de prise de vues (caméra) bien spécifique. Tout cela limite les possibilités des directeurs photo et des producteurs dans le choix du matériel le mieux adapté à chaque tournage.
L’Académie nous a présenté le nouveau workflow IIF-ACES (Image Interchange Framework-Academy Colour Encoding Specification) permettant d’optimiser la qualité des prises de vues numériques, quelque soit le système utilisé, et de les transmettre, en l’état, à l’étalonnage. Démonstration faite par la projection d’images tournées par Francis Kenny, ASC et Richard Crudo, ASC, pour la série TV Justified.

Enfin notre journée académique se termina par une discussion sur le thème de la conservation et l’archivage des images numériques autour d’un panel de grande qualité réunissant autour de John Bailey, ASC des spécialistes des grands studios et Milt Shefter de l’AMPAS.
Aucun progrès ni aucune solution nouvelle n’est venu rassurer les participants quant au devenir et à la pérennité de leurs images numériques. Au passage, il fut rappeler que l’utilisation de la charte couleurs Macbeth était déconseillée en vue d’un tirage positif, parce que restreinte à trois couleurs, ce que l’Académie considère comme insuffisant à l’obtention d’un résultat de la meilleure qualité.

Il a été, par ailleurs, (et ce surtout par les associations européennes telles AFC, BSC, Scandinavie) réaffirmé notre devoir d’extrême vigilance envers la tendance à l’utilisation généralisée des écrans métallisés (" silver-screen ") malgré l’évidence, maintes et maintes fois démontrée, de leurs défauts rédhibitoires. Et, en corollaire, nous avons affirmé notre devoir d’agir pour faire en sorte que la diffusion, quelle que soit la technique utilisée, de l’œuvre cinématographique, soit toujours opérée dans le respect de l’intégrité esthétique de sa forme originale. En souhaitant, au passage, que la définition des standards ne reste pas de l’unique chef de l’industrie américaine mais soit dorénavant le fruit d’une collaboration internationale étendue.

Le dernier jour fut celui des visites " technico-touristiques " ! de Panavision et de Mole-Richardson, visites qui avaient un air de balade dans l’Ancien Temps avec de belles machines-outils maniées encore par des êtres humains.

En conclusion, que retenir de ce " Sommet " ?
Que l’on n’a pas trouvé de solutions miracles aux nouveaux défis que nous devons relever aujourd’hui et dans les (si proches) temps futurs. L’important est que maintenant nous nous sentons moins seuls et qu’une certaine solidarité a commencé à se développer entre les diverses associations de directeurs de la photo, comme si la cinématographie se jouait des frontières.
Chacune des associations présentes a pu s’ouvrir de ses interrogations devant les autres et partager son expérience. L’ASC, association phare qui a éclairé notre métier depuis des lustres nous a formidablement accueillis avec intelligence, chaleur et générosité.
Ce n’est qu’un début. C’est à nous tous, donc, à chacun de nous, qu’il convient d’agir pour que ce rêve universel devienne réalité.

PS : Merci encore à Patty et Delphine et à toute l’équipe de coordination de l’ASC, pour la formidable organisation de cet événement. Merci à Gilles Galerne, K5600, un des principaux sponsors de l’événement et digne Marc’s brother, pour son amical repas de clôture.