Interview du directeur de la photo Fabian Gamper pour le clip "Zeit", du groupe Rammstein, réalisé par Robert Gwisdek

Par Clément Colliaux, pour l’AFC
En compétition à Camerimage 2022, l’inquiétant clip du morceau "Zeit" du groupe allemand Rammstein combine les défis techniques : studio rempli de sable, tournage sous l’eau, plans montés à l’envers, et tout cela au ralenti. Le chef opérateur Fabian Gamper nous raconte comment il a pu composer avec tous ces facteurs. (CC)

Comment s’est décidé le concept de la vidéo ?

Fabian Gamper : Le concept est venu du réalisateur Robert Gwisdek. Il l’a proposé au groupe qui l’a légèrement modifié, et ensuite on a commencé à réfléchir à comment le faire. C’était beaucoup d’expérimentations, et l’idée s’est affinée à mesure qu’on la mettait en pratique. C’est la façon de travailler de Robert, il écrit clairement quelles sont ses intentions, mais les détails arrivent au fil des tests.

Et il y avait beaucoup de choses à tester : des ralentis, des plans à l’envers, le tournage sous l’eau... Quel était l’aspect technique le plus complexe ?

FG : Sûrement la prise de vues à grande vitesse, qui impose des niveaux de lumière très élevés. Pour les scènes en extérieur et celles avec le sable, on tournait avec des Zeiss High Speed T1,3, et on utilisait les Canon K35 du studio de tournage pour les scènes aquatiques. Tout devait être plus éclairé que d’ordinaire, donc, en préparation, on a calculé de quelle intensité on avait besoin, et quels projecteurs posaient des problèmes de flicker. On a tourné les scènes avec le sable qui s’écoule avec une caméra Phantom à 1 000 images par seconde, et les scènes sous l’eau avec une Arri Alexa Mini à 200 images par seconde. Mais ça impliquait quand même d’avoir beaucoup de lumière. Le studio avait un grand plafond de projecteurs LED, mais on devait faire attention de ne pas trop les dimmer pour éviter le flicker. Et en plus du niveau, il fallait que ça nous plaise esthétiquement. On a pu faire beaucoup de tests, mais pas dans les conditions exactes du tournage. Donc il faut trouver des méthodes pour se préparer, et pouvoir réagir au plus vite le jour J.

Clément Colliaux et Fabian Gamper - Photo : Photo Katarzyna Średnicka
Clément Colliaux et Fabian Gamper
Photo : Photo Katarzyna Średnicka


Aviez-vous déjà de l’expérience en prise de vues sous-marine ?

FG : J’avais déjà tourné dans l’eau mais des choses très simples, pas totalement immergées. Sur ce clip, c’était la première fois que je devais éclairer une scène qui se déroule sous l’eau, ce qui est loin d’être évident. On a choisi le studio Lites, à Bruxelles, parce qu’il est particulièrement profond et dispose d’une machine à vague pour simuler la tempête. C’était vraiment une combinaison de facteurs. C’est déjà compliqué de tourner sous l’eau mais, avec les vagues, on perdait aussi de la lumière qui rebondissait à la surface. Et il fallait penser aussi à la découverte sur le fond bleu du studio. On a eu un jour de pré-light, mais je n’ai pas vu le plan cadré par le plongeur avant le lendemain, quand les membres du groupe ont sauté à l’eau. C’était difficile, mais aussi extrêmement plaisant de jongler entre ces différents éléments.

Capture d’écran de "Zeit"


Quelle était exactement l’installation lumière ? Vous avez un niveau général mais aussi des rais de soleil plus directif.

FG : On utilisait les grands panneaux LED qui recouvrent tout le plafond du studio, pour obtenir une ambiance globale. C’était parfait pour les scènes à la surface, avec du brouillard dans tout le studio et des projecteurs tungstène 24 kW pour simuler le soleil. Mais, sous l’eau, c’était plus dur d’avoir un niveau d’exposition suffisant. Les panneaux LED descendaient dans la pièce, mais on devait laisser la place pour un promontoire duquel les membres du groupe pourraient sauter dans l’eau. Donc ils ne jouaient presque plus sous la surface. On a installé trois ou quatre 12 kW et trois 24 kW, avec un angle assez important pour que la surface ne reflète pas tout. Tout ça simulait le soleil, et on avait quelques Kino Flo sous l’eau.

Est-ce qu’il y a beaucoup d’effets spéciaux numériques ?

FG : Assez peu, la plupart de ce qu’on voit a été tourné en direct. Le visage de la créature en cape noire vient d’un plan des réflexions sous-marines qu’on a dupliqué en miroir et placé en postproduction. Sinon, on a agrandi le ciel pour la scène sur l’eau, et ajouté des effets de miroir sur plusieurs plans.

Capture d’écran de "Zeit"


Quelles étaient les difficultés de tourner avec autant de sable sur le plateau ?

FG : Les loueurs ont dû nettoyer les objectifs après le tournage, le sable rentrait partout, même si on protégeait la caméra. On s’est amusé avec l’idée de Robert d’avoir des cascades de sable. Il y avait tout une machine avec un réservoir pour le faire tomber. Il fallait être préparés parce qu’on ne pouvait faire que des prises courtes, et ça prenait du temps de se remettre en place. On a mélangé ce qu’on avait précisément prévu avec de nouvelles idées qui nous sont venues sur le moment.

Combien de jours de tournage avez-vous eus ?

FG : Cinq jours : un premier jour pour finir de préparer et tourner la scène avec les explosions, un jour avec le groupe dans le sable, un en extérieur pour la forêt et le champ, un jour sur l’eau et un jour dedans.

Comment avez-vous éclairé les scènes dans le grand espace noir en studio ?

FG : La scène des naissances était la plus grosse installation. Il fallait que la caméra puisse se déplacer et qu’on voie une grande partie de l’espace. On a opté pour une lumière venant d’en haut, avec quatre HMI M40 et deux M18 à travers une toile de 12"x12". Ça nous a permis d’être libres dans les mouvements de caméra sans risquer de projeter des ombres, et ça semblait justifié par la direction d’où venait le sable. On a ajouté des M90 pour remplir depuis chaque côté à travers des 12"x12". C’est compliqué de donner de la personnalité à un espace noir comme celui-là.

Capture d’écran de "Zeit"


Vous avez aussi travaillé avec Robert Gwisdek sur un autre clip, "Angst", pour le même album de Rammstein, où l’on retrouve ce genre d’espace.

FG : Pour "Zeit", l’abondance de sable nous a aidés à combattre l’impression d’un endroit vide, c’était plus compliqué sur "Angst". J’ai joué sur une lumière différente, des dégradés de niveaux, des plans en noir-et-blanc. On a joué à l’étalonnage sur des conversions en noir-et-blanc qui n’utilisent qu’un seul canal de couleurs pour lui donner une texture particulière. Un peu comme sur certains vieux films, mais en postproduction. Dans le décor de banlieue pavillonnaire, on a gardé que le canal rouge, donc les visages deviennent brillants, laiteux, et les yeux très sombres. Et on a gardé seulement le canal vert pour l’autre décor, ce qui fait ressortir la structure des visages. On avait essayé aussi de tourner en infrarouge - mais ça contraignait trop le style visuel - et expérimenté avec des lumières ultraviolettes à combiner avec le noir-et-blanc. On avait préparé des LUTs et c’était assez drôle sur le plateau de voir que ce qu’on avait sur l’écran était très différent de ce qu’on voyait à l’œil. 

Vous savez quel sera votre prochain projet ?

FG : J’ai commencé à tourner un long métrage, toujours avec Robert Gwisdek. C’est une histoire très personnelle où l’on retrouve certains éléments qui étaient dans le clip de "Zeit". Il y a un certain nombre d’effets spéciaux et d’expérimentations, donc le tournage est divisé en deux parties, l’une est déjà passée et l’autre se fera en février.

(Propos recueillis par Clément Colliaux, pour l’AFC)