Jacques Saulnier (1928-2014) : un grand décorateur disparaît

Par Renato Berta, AFC

par Renato Berta La Lettre AFC n°248

J’ai commencé la préparation de Smoking et No Smoking en sachant que mon expérience du studio était modeste. Ayant vu le plan des décors qui couvraient la quasi-totalité du volume des plateaux, j’étais dubitatif et je craignais un peu ma rencontre avec Jacques Saulnier : comment éclairer avec si peu d’espace, comment traiter les ciels, comment éviter les doubles ombres des soleils…

Notre dialogue devenait essentiel dans l’intérêt du film. J’étais émerveillé de voir de très belles maquettes auxquelles, par expérience, je ne portais pas toute ma confiance, surtout en ce qui concerne les dimensions.
Après avoir pris des options de lumière/météo avec Alain Resnais et après des séances avec Jacques, nous avons apporté de petites modifications de décor, en déplaçant deux arbres, en élargissant de quelques centimètres un passage, etc. Pour des raisons d’accessibilité, nous avons dû installer des projecteurs de 10 kW bien avant la fin de la construction des décors et j’ai choisi leur position sur la base des maquettes : nous avons pu constater la précision de ces maquettes lors de l’allumage !

En ce qui concerne les ciels, nous nous étions donné rendez-vous sur le plateau vers la fin du montage des décors. Jacques avait accepté ma proposition pragmatique de lumière, en tournant des essais.
Nous devions définir ensemble la densité des ciels et trouver une solution pour les parties du ciel qui se trouvait collées aux décors, difficilement éclairables et qui devaient raccorder avec les ciels cyclos détachés des décors. Après une série d’essais, nous avons trouvé une densité qui nous permettaient de passer du jour à la nuit ou d’un ciel beau temps vers un ciel orageux sans intervention ultérieure de peinture mais uniquement en modifiant l’éclairage.

Ces types de choix ne peuvent se faire qu’avec un dialogue sérieux et constructif, fondé sur une confiance réciproque. Jacques ne connaissait pas l’hypocrisie, il était authentique et pas bêtement gentil, il n’était pas stratège mais direct. Nous avons pu nous interroger ensemble et dialoguer simplement sur de nombreux problèmes décors/lumière.
Un soir, il s’est fâché contre moi, me raccrochant le téléphone au nez. Le lendemain matin, il n’a pas été nécessaire de s’expliquer : un petit sourire timide, empreint d’agressivité ironique, et une volonté de tourner la page nous ont fait reprendre sur-le-champ le dialogue. Cet ours avait une douceur qu’il fallait savoir lire. J’avais envie de le prendre dans mes bras…

Je l’aimais beaucoup, quoi !