Janusz Kamiński s’inquiète de la perte de contrôle des directeurs de la photographie sur leurs images

Par Carolyn Giardina

La Lettre AFC n°286


The Hollywood Reporter, 9 avril 2018
De plus en plus souvent, les directeurs de la photographie déplorent que les images qu’ils tournent ne sont pas respectées une fois le film fini. Quand les films étaient tournés en pellicule, les opérateurs contrôlaient leur esthétique mais à l’ère numérique, les images peuvent être modifiées en postproduction, les couleurs éclaircies, assombries ou altérées de façon générale, d’une manière qui ne reflète pas toujours leurs intentions créatives originales.

Le directeur de la photographie Janusz Kamiński, deux fois récompensé aux Oscars, a exprimé ses préoccupations au NAB Show, à Las Vegas, lors d’une table ronde ouverte présentée par l’International Cinematographers Guild, au cours de laquelle il a déploré que la "propriété artistique de l’image" disparaisse depuis que le cinéma dépend de plus en plus des techniques et des outils numériques.

« Il y a trop de maillons dans la chaîne », a déploré Janusz Kamiński, qui travaille avec Steven Spielberg depuis trois décennies et plus récemment sur Ready Player One. « Jusqu’à présent, si vous avez un bon metteur en scène, comme Steven Spielberg, les résultats sont bons. Mais si le réalisateur n’est pas impliqué, le directeur de la photographie perd le contrôle de l’image. »

« Dans une certaine mesure, ce n’est pas du cinéma pour moi », dit-il à propos des techniques numériques utilisées dans Ready Player One

Janusz Kamiński a rappelé à l’auditoire que l’art de la cinématographie consiste à raconter des histoires avec les ombres et la lumière, mais avec la production et la postproduction numériques, les intentions ne se retrouvent pas toujours dans les images projetées. « L’image est tellement manipulée, dès le tournage avec le DIT, et c’est sans limite », a-t-il dit.

Parlant de Ready Player One sur le thème de la réalité virtuelle dans une table ronde animée par David Geffner, éditeur d’ICG Magazine, Janusz Kamiński a déclaré que c’était un « film incroyable » dont il était fier, mais il a admis que « [sa] contribution était de 40 % ».

En tant que directeur de la photographie, Janusz Kamiński a filmé les scènes du "monde réel", qui représentent environ 40 % du film fini, tandis que le monde virtuel de l’Oasis - peuplé d’avatars de personnages animés - est entièrement créé numériquement sur la base de performances en motion capture. « Dans une certaine mesure, ce n’est pas du cinéma pour moi », a admis le directeur de la photographie. « Je fais des films avec des lumières réelles, des décors... J’ai consulté des artistes d’ILM [1] pour les parties numériques de Ready Player One. »

D’une manière générale, Janusz Kamiński pense que le plus grand défi pour l’avenir de la cinématographie est celui de la créativité. « La cinématographie est l’art de la lumière et des ombres, des métaphores visuelles et des nuances », a-t-il déclaré. « C’est en train de disparaître. Ça va évoluer et revenir, mais pour l’instant, il n’y a pas assez de jeunes opérateurs qui utilisent la photographie cinématographique pour s’exprimer. »

(Traduit de l’américain par Laurent Andrieux pour l’AFC)

[1Industrial Light & Magic est une société d’effets spéciaux créée en 1975 par George Lucas, filiale de Lucasfilm, et aujourd’hui propriété de la Walt Disney Company (NDLR)