Jean-Pierre ou le temps retrouvé

Par Caroline Champetier, AFC
Jean-Pierre est mort le 8 avril à 16h30 dans mes bras et l’odeur du lilas. Il y avait du soleil dans la chambre, le matin il avait écouté le merle.
Jean-Pierre dans la forêt de Rambouillet, en août 2018 - Photo Caroline Champetier
Jean-Pierre dans la forêt de Rambouillet, en août 2018
Photo Caroline Champetier

Quand nous sommes sortis le 15 juin 2018 du bureau de Marc Poccard à Lariboisière, en marchant dans la grande galerie du rez-de-chaussée un peu sonnés, JP a dit : « Bon, il va falloir que je range ma chambre ! ». Celles et ceux qui le connaissent savent que le mot ranger n’était pas dans son vocabulaire, pourtant c’est non seulement ce qu’il a dit mais c’est aussi ce qu’il a fait.

Il a rapidement évacué la chimiothérapie soutenu en cela par Christine Le Maignan qui a accepté d’être son médecin traitant, un médecin personnel comme les princes d’une autre époque qui passait dîner trois fois par semaine et avec laquelle il échangeait sur beaucoup d’autres sujets que son état. C’est Christine qui a assisté à son départ de Paris, hier à 8h30, sans que je le lui ai demandé.

Dès septembre, le projet de valorisation des archives Aaton déposées à la Cinémathèque française est devenu une grande partie du rangement de la chambre. Jusqu’à janvier dernier, il a reçu deux chercheurs du programme Beauviatech ou de l’ENS Louis-Lumière par semaine. La tâche qui nous a semblé la plus importante à été la redéfinition des 45 brevets d’invention pris par Aaton en son nom et au nom de ses collaborateurs.
Nous redéfinissions chaque brevet, il suffisait que JP en regarde le dessin pour savoir de quel brevet il s’agissait, s’il était important ou si c’était un brevet de défense.

Le rangement de la chambre a aussi consisté à voir et revoir ses amis à Paris et à Mens, sa fille Camille, Julien son fils, Arto et Appoline ses petits enfants, ses frères et sœurs, les femmes de ses sept vies.
Quand nous venions à Mens, je classais le reste des archives installées à la cave pour séparer le privé du professionnel, il a regardé beaucoup de photos et s’étonnait de ce tout ce qu’il avait vécu.
Ses amis d’Aaton sont venus le voir, il y a eu des moments très gais, comme lorsqu’il a donné ses premiers cours de photographie à Denis Quénéhen.
Apprendre quelque chose à quelqu’un lui procurait une sorte d’ivresse.
Il racontait qu’au pensionnat, pendant les récréations, il se faufilait dans une salle avec quelques élèves et leur réexpliquait les règles mathématiques du cours précédent.

Deux semaines avant qu’il ne parte, il nous expliquait, à Sylvie et à moi, qu’il ne voyait plus les choses de sa vie précisément mais en esquisse, un énorme carnet d’esquisses qui traçaient des lignes dans l’espace et le temps. Sylvie lui a lu la dernière page du Temps retrouvé, le texte lui a semblé écrit pour lui, par lui. Je lui ai relu chaque jour jusqu’au 8 avril.

En vignette de cet article, une abeille sur les fleurs de la tombe de Jean-Pierre - Photo Caroline Champetier