John Bailey, ASC, rend hommage à Willy Kurant, AFC, ASC

Contre-Champ AFC n°322

Dans un article publié le 19 juillet 2021 sur le site de l’ASC, "In Memoriam: Willy Kurant, ASC, AFC (1934-2021)", John Bailey, ASC, rend hommage à son ami et connaissance de plus de 50 ans. Après avoir retracé en partie sa vie et sa carrière, le directeur de la photographie reconnaît que la singulière dévotion de Willy Kurant à son art aura été pour lui une balise, et qu’une fois ce dernier parti, la chatoyante lumière irradiée par son travail demeure encore vive.

Willy Kurant, poète de la caméra de la Nouvelle Vague, par John Bailey, ASC
À l’automne 1968, quand j’ai rencontré pour la première fois le directeur de la photographie belge Willy Kurant, il avait 34 ans, vivait à Paris et approchait du sommet de sa carrière française. Avec le vétéran de la guerre d’Indochine Raoul Coutard, l’iconoclaste fumeur à la chaîne Jean Boffety et le distingué Catalan Néstor Almendros, Willy était l’un des directeurs de la photo de référence pour les cinéastes de la Nouvelle Vague ; il avait photographié plusieurs douzaines de courts métrages documentaires au Congo, en Turquie et en Inde pour des réalisateurs tels que Maurice Pialat, et des longs métrages pour Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Chris Marker, Jerzy Skolimowski et Alain Robbe-Grillet.

Quand j’ai rencontré Willy, en ce mois de septembre au Café de Flore à Saint-Germain-des-Prés, il décompressait encore sur le plan émotionnel du tournage du "néo-noir" La Nuit du lendemain, de Hubert Cornfield, un film américain, avec la France pour décor, dont les stars, les acteurs mauvais garçons Marlon Brando et Richard Boone, rêvaient tous les deux d’être les réalisateurs du projet. Comme s’il n’y avait pas assez de personnalités hors du commun à qui faire face, Willy s’est aussi offert récemment, comme cadeau, le film d’Orson Welles Une histoire immortelle, dont la star est la reine de la Nouvelle Vague, Jeanne Moreau.

Un abandon du programme diplômant de l’USC Cinema et une formation au Corps de la Paix "désélectionnée" pour raisons politiques, je suis venu à Paris pour voir ma petite amie et future épouse, Carol Littleton, qui étudiait à la Sorbonne grâce à une bourse de la Commission Fulbright. Déjà adepte des films français d’avant-garde (avec l’autorisation du temple du cinéma de Max Laemmle, à Los Feliz [un quartier de Los Angeles, NDLR]), j’étais impatient de respirer in situ l’air enivrant du cinéma français. Willy me demanda de le rencontrer au Café de Flore, que je découvris vite être un endroit sacro-saint pour lui.

Lieu de rendez-vous iconique qui recevait l’élite littéraire et culturelle des arts de la France du XXe siècle, le Café de Flore est toujours un incontournable pour les pèlerins de la culture. Grâce à la fameuse scène des passants sur le trottoir dans le film de Louis Malle Le Feu follet (1963), avec Maurice Ronet, je pouvais reconnaître chacune des tables extérieures du café et, après être arrivé plus tôt pour la rencontre avec Willy, je m’étais assis à la même table que Ronet avait occupée. Comme son personnage, Alain Leroy, j’étais, moi aussi, porté à l’introspection quand un homme à la présentation délicate s’approcha et se présenta en tant que "Willy". Il nous délivra immédiatement tous les deux de mon tout juste passable français "Corps de la Paix" à l’aide de son anglais parfait et ne montra aucune trace de retenue ou de dédain gaulois. Au début, j’attribuai sa franchise à ses récentes expériences avec des cinéastes américains déchaînés, mais, au fur et à mesure qu’il parlait de sa vie et de son travail, je réalisai que sa sensibilité était inscrite dans ses gènes – l’ADN d’une vie riche en défis.

Voir également, en haut de l’article de John Bailey, une photo peu connue de Willy Kurant, mesurant la lumière sur Chantal Goya, Jean Orjollet au décamètre derrière eux, pendant le tournage de Masculin, féminin, de Jean-Luc Godard, en 1966 (Photo courtesy of Getty Images).