"L’Astronaute", de Nicolas Giraud, photographié par Renaud Chassaing, AFC : "Station Limousin direction Etoiles", en large format et Zeiss Supreme Radiance

par Zeiss Contre-Champ AFC n°342

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Un ingénieur propulsion chez Ariane Group rêve d’aller dans l’espace. L’Agence spatiale européenne n’a pas voulu de lui à l’époque, certes, alors il se construit une capsule dans la grange de la ferme familiale. Doux dingue ? Comme cet ancien astronaute qui sort de sa retraite pour le conseiller, l’équipe aussi hétéroclite que déterminée qui l’entoure croit en lui, en son talent et sa discipline.

Des moyens austères mais répondant exactement à l’objectif poursuivi, des techniciens qui mettent leur talent au service d’une vision poétique et un peu folle, et beaucoup de foi : ça rappelle le cinéma, non ?

Renaud Chassaing : Nicolas Giraud a vraiment envisagé ce sujet et ce film comme une allégorie de la fabrication d’un film. C’est une métaphore de notre métier, une mise en abyme sur notre travail. Il a réuni ses proches collaborateurs pour fabriquer son film, un peu comme le personnage de Jim s’entoure d’une équipe pour construire sa fusée. C’est une deuxième famille qu’il se crée dans le film, avec le personnage joué par Mathieu Kassovitz, cet astronaute retiré du monde et figure paternelle qui rappelle Jean-François Clervoy, qui était notre conseiller technique et a aidé Nicolas à monter son film.

Qu’as-tu appris, en tant que directeur de la photo, avec Jean-François Clervoy ?

R.C. : C’était assez génial. On a pu lui poser énormément de questions en amont. On a fait des "réunions Espace" avec lui. Au-delà de rencontrer un personnage passionnant – c’était impressionnant de croiser quelqu’un qui est parti trois fois dans l’espace quand même, ils ne sont pas nombreux en France – j’avais des questions sur l’ensoleillement dans l’espace, sur la manière dont il avait ressenti la lumière, les astres, le noir dans l’espace. Quel éclairage avait-il aussi ? On a l’impression que le soleil est la seule source de lumière, mais en réalité il y a aussi sa réflexion sur la Terre, sur les nuages, la Lune et celle de la combinaison, les petites lumières sur les casques. Les astres aussi peuvent être lumineux. Et combien de fois par jour un astronaute dans l’espace voit un coucher de soleil ? Je crois que c’est seize fois par jour depuis la Station spatiale internationale, elle fait le tour de la Terre toutes les 90 minutes. Je lui ai aussi posé la question des films se déroulant dans d’espace dont il avait apprécié le rendu. Sa référence était Gravity, en termes de crédibilité de photo, je crois qu’il était assez bluffé. Il avait l’impression de revivre ce qu’il avait vécu.


C’était déjà peut-être une référence pour vous ?

R.C. : Évidemment, c’était une référence. Avec les moyens du bord.

Vous aviez Gravity comme point de mire mais sans les moyens hollywoodiens, comme, dans le film on veut aller dans l’espace, mais sans les moyens de la NASA ou des milliardaires ! Ça pourrait presque être un "feel good movie" plein de bienveillance, mais il y a quand même un danger, une inquiétude, liés peut-être à l’obsession du personnage principal.

R.C. : Le personnage est un peu border-line, c’est vrai qu’il n’est pas toujours rassurant dans sa quête obsessionnelle de l’espace. Il vole quand même des pièces détachées chez Ariane Group pour construire sa fusée. Il est dans son monde. Et je trouve que c’est intéressant dans le film, parce qu’au début il paraît un peu froid, dans son univers, son hangar. Ce que lui apportent les autres l’ouvre au fur et à mesure de l’histoire, et il se dévoile de plus en plus, jusqu’à la fin. Donc oui, il y a un petit côté "feel good movie", mais pas seulement. Nicolas ne voulait pas faire un conte, il avait envie de quelque chose de réaliste.

Nicolas Giraud et Mathieu Kassovitz
Nicolas Giraud et Mathieu Kassovitz


Donc le réalisme, c’est quelque chose qui est venu entre vous très vite dans la discussion ? Tu as besoin de savoir à quel point il faut qu’on y croie ?

R.C. : Il y avait d’abord le réalisme de l’histoire. Il m’a dit que techniquement, c’était possible, cette fusée pourrait quasiment se faire vraiment dans ces conditions. Clervoy nous dit la même chose (il faudrait plusieurs étages de propulsion or celle-ci n’en comporte qu’un, par rapport à la performance des carburants disponibles aujourd’hui). Evidemment, Nicolas avait envie de ça à l’image. C’est une image réaliste, mais en même temps, on voulait un peu de poésie donc il fallait trouver l’équilibre, et tous les effets de lumière sont toujours justifiés par une source, le soleil, une lampe. Cette pièce dans la ferme, chez sa grand-mère, est crédible dans les décors et dans les lumières qu’on a essayé de créer.

Vous étiez où ?

R.C. : Dans le Limousin. La vraie campagne limousine, très belle, très sauvage, hivernale. On a eu de la chance avec la météo par rapport aux séquences qu’on devait tourner. On a eu des moments assez magiques.

C’est la lumière d’hiver.

R.C. : Quand il y a du soleil, c’est magnifique. Pour l’ouverture du film, qui se passe un matin à l’aube, Jim court dans la campagne recouverte de givre, il y avait une ambiance lumineuse irréelle.

On a tourné sept semaines, avec un petit budget. Christophe Rossignon, le producteur, tenait beaucoup à ce projet parce qu’il est passionné par l’espace, tout comme Kassovitz d’ailleurs.

Nicolas Giraud et Mathieu Kassovitz
Nicolas Giraud et Mathieu Kassovitz


Comment es-tu arrivé sur ce film ?

R.C. : Nicolas a dû parler de moi à la production, Nord-Ouest, avec qui j’avais déjà tourné. On s’est rencontré sur Zoom et je crois que ce qui lui a plu dans la première discussion qu’on a eue, c’est qu’on a tout de suite parlé de l’éclat, de la brillance. Ça a été vraiment le début de notre rencontre. Je pense qu’on parlait d’un film sur lequel j’avais travaillé et il a rebondi. C’est quelqu’un qui rebondit beaucoup sur des mots, des idées, des gestuelles et il a voulu en savoir plus. Puis il m’a choisi et on est partis ensemble.

Vous avez littéralement commencé par parler de lumière.

R.C. : Oui, c’est vrai. J’aime bien créer des mood-boards avec des références de films, de peinture, de photographies. On a travaillé dessus ensemble parce qu’il sait vraiment ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas. Je l’ai regardé à nouveau hier et en fait, le film fini est très proche des ambiances qu’on voulait au départ. Il y a beaucoup de films de science-fiction comme Premier contact (Arrival), de Denis Villeneuve, photographié par Bradford Young, qui est un film froid et très doux. Il y a évidemment Interstellar. Il y avait des images de Drive aussi pour l’atelier de mécanique. J’ai été très influencé par le Space Project de Vincent Fournier, un photographe qui prend des photos dans des centres spatiaux partout dans le Monde, mettant en scène des astronautes, des fusées, des moteurs, dans des décors typiques. Il y a d’ailleurs une séquence où Nicolas reprend la même gestuelle que l’un de ces astronautes qui tient une fusée miniature.

Nicolas Giraud et Mathieu Kassovitz
Nicolas Giraud et Mathieu Kassovitz


En préparation, est-ce qu’il est maniaque et minutieux, comme son personnage dans le film ? Découpage technique au cordeau et dans le moindre détail ?

R.C. : Il est vraiment comme son personnage. C’est un film qu’il portait depuis très longtemps, il l’a beaucoup préparé, et il est très minutieux sur ce qu’il veut. On avait un découpage assez précis, mais il se laissait une liberté sur le décor. Ce que j’ai vraiment apprécié dans sa façon d’aborder une séquence, c’est la précision de l’emplacement de la caméra et du cadre. Autant il me faisait confiance pour la lumière – comme on allait dans le même sens, il me laissait totalement libre dans la fabrication – autant pour le cadre, il avait des précisions au millimètre, et ça c’était assez génial. On a tourné quasiment tout le temps à une caméra, ce qui est aussi de plus en plus rare, et c’était très agréable de se poser, de faire un cadre avec un vrai regard, une intention, des plans, des travellings très lents, des choses très pensées. Ça, c’était assez fort.

Est-ce que le fait qu’il soit réalisateur mais aussi comédien dans son film a une implication dans le déroulement du tournage ?

R.C. : Il allait vérifier le cadre évidemment, et une fois que c’était calé, il nous faisait confiance et se concentrait sur la comédie, il voulait vraiment être avec sa bande de comédiens.


Ça se sent.

R.C. : Oui. Il est très proche d’Hélène Vincent, qui joue sa grand-mère. Il avait tourné un premier film avec elle, leur relation se construit depuis un moment et je trouve que ça se ressent dans le film. Il avait un rapport très fort avec tous ces comédiens qui étaient là parce que parce qu’il les voulait vraiment. Je crois qu’il avait écrit le rôle pour Mathieu Kassovitz.

Vous avez tourné la partie espace en studio ?

R.C. : Oui, sur le plateau 1 300 aux Studios d’Aubervilliers.

Quelle installation avais-tu choisie pour le voyage dans l’espace ? Notamment en termes de source, pour faire ce soleil sans filtre. Du HMI ?

R.C. : Ça été un vrai questionnement. Pour des raisons de coût, on n’avait pas vraiment le choix du studio, et il était un peu juste en termes d’espace, par rapport à la source et au chemin que l’astronaute devait parcourir lors de sa sortie extra-véhiculaire. Il parcourt quinze mètres, et pour que cette source puisse couvrir tout cet espace, j’étais un peu limite. Je suis parti avec un 20 kW tungstène. Dans cette séquence dans l’espace, on bascule du jour à la nuit, on voit le soleil qui se couche et disparaît, et la nuit et les étoiles qui apparaissent. Donc il y avait un basculement de lumière spatiale qui n’était pas simple à faire. Pour moi, la seule façon de le faire, c’était de dimmer un projecteur.

Derrière le moniteur : Nicolas Giraud et Renaud Chassaing. Debout derrière eux, le superviseur VFX Rodolphe Chabrier.
Derrière le moniteur : Nicolas Giraud et Renaud Chassaing. Debout derrière eux, le superviseur VFX Rodolphe Chabrier.


Et on ne peut pas dimmer du HMI de cette puissance.

R.C. : En effet. On aurait pu avoir des LEDs, mais à l’époque, il y a deux ans, il n’y avait pas encore ces grosses sources puissantes comme il y en a de plus en plus maintenant. J’ai donc opté pour la solution classique du 20 kW dimmé qui marchait très bien parce qu’en dimmant, ça se réchauffe, et en se réchauffant, ça donne un effet soleil couchant. Le projecteur était sur une nacelle qui descendait en même temps. Ça a très bien marché pour les VFX chez Mac Guff. Cette source de 20 kW n’est pas aussi forte qu’un HMI, et moins métallique, mais en filtrant un peu avec des Glimmer, elle a quand même ce côté solaire, quand elle touche la capsule ou le cosmonaute, et la diffusion des hautes lumières marche assez bien. J’ai utilisé les filtres Glimmer tout le temps, j’avais besoin d’un peu de diffusion, de halo dans les hautes lumières. Comme Nicolas voulait une image très "sharp", je ne suis pas non plus allé trop loin dans les diffusions. En plus de cette source principale, il y a ce petit rebond dont on avait forcément besoin pour les nuits où il faut quand même qu’on voie sans voir et qu’on imagine quelle est la source qui l’éclaire. J’ai imaginé un rebond de lune, avec un SkyPanel 360 en réflexion, très diffusé pour avoir une lumière qui vient de nulle part, qui ne se sent pas trop mais qui donne une petite direction sur lui, en blanc froid. Dans le plan de coucher de soleil avec changement de lumière, cette lumière vient éclairer la nuit et prend progressivement le relais du 20 kW qui s’éteint et descend.
Pierre Michaud, le chef électricien, travaillait sur une configuration qu’il s’est faite avec Luminair sur une tablette contrôlée par une console. Dans le hangar, on avait beaucoup d’Astera et tout était contrôlable, ce qui nous a beaucoup aidés.

Pour éclairer le visage de l’astronaute la nuit, on avait installé des petites LEDs dans son casque. On s’était inventé une espèce de plafonnier type néon pour l’intérieur de la capsule, toujours visible. On a filmé la capsule dans tous les axes, pratiquement sans ajout de source extérieure.

Hélène Vincent, Bruno Lochet, Nicolas Giraud, Ayumi Roux et Mathieu Kassovitz
Hélène Vincent, Bruno Lochet, Nicolas Giraud, Ayumi Roux et Mathieu Kassovitz


La capsule était construite sur 360 ° ?

R.C. : Oui, et la fusée de douze mètres a été construite totalement aussi. C’est un travail incroyable de Yann Mégard, le chef décorateur.

Quelle était la caméra ?

R.C. : Une Arri Alexa Mini LF. C’était la première fois que je tournais en LF. Je trouve qu’il y a quelque chose d’immersif dans les gros plans, la proximité et la perte de profondeur de champ, qu’on n’a pas en Super 35.

Photogramme de travail issu des rushes
Photogramme de travail issu des rushes


Parlons-en, de la profondeur de champ ! Il y a des performances de mise au point dans le film…

R.C. : Antoine Delaunay, le 1er assistant opérateur, en a encore des sueurs. On a fait des choses difficiles ensemble, parce que je travaille souvent aussi en Scope, toujours à pleine ouverture. Et là, c’était beaucoup plus dur.

Tu es allé à la pleine ouverture ?

R.C. : Tout le temps.

C’est pas sympa !

R.C. : Non. Antoine ne l’a pas trop dit pendant le tournage mais, après, il m’a avoué à quel point c’était compliqué. Il a fait un boulot énorme. Je ne m’en suis pas vraiment rendu compte parce que c’était quasiment tout le temps parfait, mais pour lui ça a été dur. En fait, j’ai été 1er assistant pas mal de temps et je pensais vraiment que l’anamorphique était plus compliqué à pointer. Mais je pense que le grand format, avec ces optiques très piquées et à pleine ouverture, ça donne une exigence de précision plus grande.

Nicolas Giraud et Bruno Lochet - Photogramme de travail issu des rushes
Nicolas Giraud et Bruno Lochet - Photogramme de travail issu des rushes


Ce plan des deux hommes de trois-quart sur le banc, la nuit, avec la caméra qui s’approche, puis le point qui bascule de l’un à l’autre…

R.C. : C’est aussi que Nicolas est un réalisateur qui joue avec ça. Les bascules de point participent à sa mise en scène. C’est quelque chose qui lui importait.

Et pourquoi la pleine ouverture ?

R.C. : Je m’aperçois que quelles que soient les optiques, je finis à pleine ouverture. Je pense que c’est surtout pour la profondeur de champ. Je trouve que, en numérique, la pleine ouverture crée quelque chose d’un peu moins précis, moins piqué, et ça, j’aime bien. Et les flares sont forcément plus forts. Je choisis souvent les optiques pour leurs flares, et pour qu’ils existent, il faut de la pleine ouverture. La LF avec des optiques à pleine ouverture donne quelque chose d’assez magique dans le rendu de l’image. C’est vraiment une histoire de goût. Et je n’arrive pas à fermer, même en extérieur. A T:2,8 je ne suis pas à l’aise. Je mets des ND 15, et je préfère encore changer de sensibilité plutôt que de fermer. Sur ce film, j’étais en plus à 2 000 ISO tout le temps y compris en extérieur jour, ce qui n’est pas simple pour rester à pleine ouverture.

Nicolas Giraud – Photogramme de travail issu des rushes
Nicolas Giraud – Photogramme de travail issu des rushes


A 2 000 ISO pour la texture du bruit ?

R.C. : Oui, pour gagner un peu de bruit, de particules. Que l’image soit un peu moins "clean".

Comme c’était la première fois que tu filmais avec la LF, tu avais eu le temps de faire des essais ?

R.C. : On en a fait beaucoup. Comme Nicolas s’intéresse à la technique et qu’il était très au fait de comment on allait faire le film, il y a eu un gros casting d’optiques. On a passé une journée entière chez RVZ, et on a essayé une dizaine de séries, des optiques anamorphiques, des sphériques, des optiques vintages... Un panel très large. Comme Nicolas est comédien, on a fait des images avec lui comme modèle, intérieur, extérieur, nuit. On les projetées chez Color sur écran assez large, à l’aveugle pour lui, et on a éliminé les optiques. Finalement, il en restait trois : des anamorphiques, une série vintage et la série Zeiss Radiance.

Nicolas Giraud et Mathieu Kassovitz - Photogramme de travail issu des rushes
Nicolas Giraud et Mathieu Kassovitz - Photogramme de travail issu des rushes


Ce sont des optiques très différentes. Ce sont les flares qui ont pesé dans la balance ?

R.C. : Oui et non. Les trois séries avaient des flares prononcés, Nicolas en voulait de toute façon. Finalement il n’a pas voulu de l’anamorphique – et c’est amusant, parce que certains collègues chefs opérateurs étaient persuadés que j’avais tourné en anamorphique après avoir vu la bande-annonce. J’avoue que je n’étais pas contre l’anamorphique mais je ne regrette pas du tout. Je pense que ce qui nous a fait pencher pour les Radiance, c’est qu’elles étaient plus piquées et il avait besoin de ça. Et le flare bleu était exactement ce qu’il recherchait. Cette réflexion des lentilles donne de la poésie à l’image, elle fait un peu penser aux astres. On allait pouvoir jouer avec. Et cette teinte bleue, on allait quand même la mettre sur tout le film.

Cette teinte bleue, elle était déjà là en prépa ? Tu avais une LUT ?

R.C. : Oui, avec l’étalonneur, Julien Bodart, nous avons posé une LUT pendant ces essais. Elle est plus cyan que bleue d’ailleurs. Elle donnait un aspect science-fiction qui plaisait à Nicolas. Avoir des flares bleus était cohérent. Ça fonctionnait aussi avec les couleurs complémentaires chaudes des sources dans les intérieurs et de nuit. Les décors étaient assez teintés, avec très peu de blanc dans les intérieurs. J’étais avec Pierre, mon chef électricien, sur un plan large de la campagne du Limousin en jour, jolie mais assez terne à l’image parce que très grise – on a appliqué la LUT, et il a trouvé ça incroyable, on basculait vers une autre dimension. C’est vrai qu’elle amenait quelque chose d’assez fort dans des images, qui auraient pu être banales. Donc oui, il y avait une stylisation dès la prise de vues avec cette LUT.

Nicolas Giraud - Photogramme de travail issu des rushes
Nicolas Giraud - Photogramme de travail issu des rushes


Et c’était la même pour les intérieurs ?

R.C. : Il me semble que j’avais une variante de cette LUT pour les nuits, pour désaturer un peu, parce qu’elle avait tendance à saturer un peu trop les rouges sur les lampes que je dimmais beaucoup. Tous les soirs, j’avais des photogrammes que l’assistante extrayait des rushes. Sur mon ordinateur, avec Lightroom, je réajustais les teintes de chaque séquence et j’envoyais ça au labo, qui étalonnait selon ces références. Donc la copie de travail avait déjà un look assez précis, qu’on a retrouvé très vite à l’étalonnage, des mois après. Nicolas se référait à cette copie, donc j’avais bien fait d’être assez précis. Les images que je t’ai envoyées sont ces stills de travail, et elles sont très proches du résultat final.

Le gros travail à l’étalonnage, c’était l’espace, cette non-dominante à trouver. C’est marrant, j’avais imaginé l’espace un peu froid, et ça ne marchait pas, ça faisait faux. Ce qui m’a vraiment aidé ce sont les images de l’espace prises par les astronautes de l’ISS. Il fallait surtout ne pas mettre de teinte. Il fallait un aspect piqué, métallique, et rester très neutre.

Photogrammes de travail issus des rushes
Photogrammes de travail issus des rushes


Photogrammes de travail issus des rushes
Photogrammes de travail issus des rushes


Sachant que "neutre", ça n’existe pas… Vous étiez en RAW ?

R.C. : Oui.

Vous n’avez peut-être pas utilisé la LUT pour ce que vous avez tourné en studio ?

R.C. : Si, à la demande de Rodolphe Chabrier, le superviseur VFX de chez Mac Guff.

Nicolas Giraud et Hippolyte Girardot - Photogramme de travail issu des rushes
Nicolas Giraud et Hippolyte Girardot - Photogramme de travail issu des rushes


Les VFX consistaient à créer le ciel étoilé ?

R.C. : Oui, on avait un grand fond bleu évidemment, tout autour du studio. La problématique c’est qu’on avait pas mal de plans en contre-plongée sous l’astronaute, et on n’avait pas de fond bleu partout. Avec les câbles pour simuler l’apesanteur, il était impossible de mettre une toile noire, donc il a fallu faire beaucoup de rotoscopie. Sur le fond bleu il a eu à tout reconstruire : la Terre, les étoiles, le noir, ce noir brillant. Et il y a eu les reflets de la Terre dans le casque, lorsqu’il sort de la capsule. Sur les images ajoutées en VFX, on avait la possibilité de jouer avec des caches sur la brillance des étoiles, sur la teinte de la Terre. Ça nous a vraiment bien aidés pour ajuster le contraste entre la combinaison blanche et l’arrière-plan noir.

C’est intéressant cette histoire de noir. Ce n’est pas juste une absence de couleur, il y a quelque chose là-dedans. Est-ce que tu as rajouté du grain en postproduction ?

R.C. : Oui, J’ai rajouté un petit grain, de manière uniforme mais très légère. Nicolas n’est pas un grand fanatique du grain. Il n’a pas de nostalgie du 35 mm. Je lui ai proposé de mettre un tout petit peu de grain pour abimer un peu le numérique, comme pour la pleine ouverture.

Nicolas Giraud - Photogramme de travail issu des rushes
Nicolas Giraud - Photogramme de travail issu des rushes


Oui, s’il aime les images piquées… Il y a une ligne esthétique qui n’est pas facile à tenir. Parfois on est un peu dans la bande dessinée et c’est très bien, et en même temps, il faut qu’on y croie sans verser dans le réalisme social non plus. Ce n’est pas non plus de la science-fiction. C’est autre chose. C’est peut-être pour ça que c’est difficile à classer.

R.C. : Il y avait effectivement un équilibre à trouver dans la cohérence esthétique de ce film. J’avais envie que le réalisme des séquences se déroulant dans la ferme soit un peu transfiguré par la lumière. Et pour les lieux dotés d’un fort potentiel visuel, dans l’espace par exemple, j’ai essayé de retranscrire une image plus simple, sans trop styliser ces scènes.

Oui, c’est vrai que c’est un film assez inclassable, c’est la force de Nicolas de proposer un univers personnel et très singulier.

(Propos recueillis par Hélène de Roux, pour Zeiss)