L’Eté indien

C’est la première fois que je collaborais avec Alain Raoust. Quand nous avons commencé, Alain m’a surprise par le degré de préparation qu’il avait sur le projet. Il connaissait tous les décors, il avait préparé un découpage très précis. C’est assez rare et cela demande donc une préparation différente.
Sur le tournage de "L'Eté indien" d'Alain Raoust - Céline Bozon, debout, et deux membres de son équipe : à gauche, Nicolas Duchêne, opérateur Steadicam, et Claire Nicol, assistante caméra
Sur le tournage de "L’Eté indien" d’Alain Raoust
Céline Bozon, debout, et deux membres de son équipe : à gauche, Nicolas Duchêne, opérateur Steadicam, et Claire Nicol, assistante caméra

Par exemple Alain était très spécifique sur les sources qui devaient éclairer les scènes : une lampe torche dans telle scène, la lampe au gaz qui est devenue une lampe à huile dans telle autre, une bougie utilisée par la petite fille, un néon qui bat devant la caravane.
Tout était décrit au scénario. De démarrer avec des demandes précises permet de pousser certaines expériences à fond, je crois avoir essayé une vingtaine de lampes torches pour trouver la bonne. Maintenant je suis une spécialiste des lampes torches ! Mais malgré le degré de préparation d’Alain, certaines questions se retrouvent inlassablement sur notre chemin.

Dans le pré découpage Alain avait écrit : « Comment fait-on dans une forêt la nuit sans lumière ??? Demander à Hélène... » (En effet, au départ, c’est Hélène Louvart qui devait faire le film mais le tournage ayant été décalé, elle n’a pas pu se libérer.) La question d’Alain est effectivement un cas d’école. Est-ce qu’on dit que c’est la lune qui éclaire ? Est-ce qu’on dit qu’on s’en fiche de justifier les sources ? Est-ce qu’on dit qu’on ne voit rien ? On voit bien que de répondre à cette question engage le style du film, elle établit un rapport à la mise en scène, au récit, au spectateur. Et si Alain se pose la question c’est parce qu’il sentait que c’était un endroit où la mise en scène et la lumière devaient se parler.

Déborah François
Déborah François

Dans la forêt où Deborah est guidée par la lumière de la torche de son père, j’avais éclairé avec des ballons 1 200 W HMI, sur le plateau, on avait l’impression qu’on voyait tout partout, Alain était très troublé en arrivant sur le décor ; et finalement quand il a vu les plans en film il trouvait ça beaucoup trop dense… Toujours compliqué ce rapport entre perception et ce qu’on imprime vraiment sur la pellicule… Donc on s’était beaucoup parlé mais peut-être pas encore assez.

Dans cette forêt, nous avons fait un plan dont toute l’équipe se souvient, je pense. C’était un plan que je ne cadrais pas, c’est Nicolas Duchêne qui l’a cadré au Steadicam et je lui tire mon chapeau.

C’était un plan séquence (il a été découpé au montage) dans lequel René avance avec sa lampe torche dans un terrain en pente et où l’on tourne autour de lui. Le machino guidait le " steadicameur " tout en étant lui -même guidé verbalement par quelqu’un d’autre, tandis que moi je guidais mon électro qui renvoyait dans un petit poly une autre lampe torche et reculait avec le comédien guidé quant à lui par Alain… Il va sans dire que c’était un plan tourné muet… Je pense qu’on s’est tous beaucoup amusé à tourner ce plan, il y avait une sorte de défi, en même temps je sais bien que les films se joue souvent à des endroits moins spectaculaires mais des petits défis de temps en temps c’est rafraîchissant.

Johan Leysen
Johan Leysen

Une des choses peut être moins spectaculaire pour l’équipe, mais qui est au centre de mon travail c’est le visage. Johan, l’acteur principal, avait un visage passionnant à filmer, à éclairer. Avant le film, j’avais fait des essais photographiques avec les comédiens. J’avais essayé plusieurs types de lumière, plus ou moins douce ou dure, des directions différentes, avec diverses focales, en plongées, contre-plongées, etc.

C’est souvent lors de ses essais que je rentre dans le film d’une autre manière que par le scénario, en tentant d’apprivoiser les visages et en touchant d’un fil ce que seront les personnages. C’est un moment très précieux pour moi, qui me fait gagner du temps sur le tournage et m’évite ainsi certaines erreurs grossières de photogénie, hélas, on ne me laisse pas toujours la possibilité de le faire.

Pour finir je voudrais dire quel bonheur cela a été pour moi de tourner à la montagne, de se lever aux aurores et de voir les premiers rayons sur le sommet d’en face. Pour la séquence de chasse, nous avons fait une ascension depuis le lac jusqu’au sommet du trou de l’aigle d’environ 1 000 mètres de dénivelé ; on avait dit que seule une équipe réduite y allait parce que cela demandait de l’énergie de grimper là-haut… Finalement quasi tout le monde était là : maquilleuse, " steadicameur ", chef électro… Tout le monde voulait profiter de ces magnifiques paysages… C’est peut-être un peu cela le cinéma, des petites et des grandes choses, regardées comme pour la première fois.


  • Johanna ter Steege
    Johanna ter Steege
    Guillaume Verdier
    Guillaume Verdier

Technique

- Caméra, lumière, machinerie : TSF
- Laboratoire : GTC
- Etalonneur : Christophe Bousquet