L’Intouchable

« En partant en Inde mi-novembre 2005, j’avais la bénédiction des dieux, j’en suis revenue six semaines plus tard touchée d’intouchabilité, entre-temps, l’Inde m’avait bondi dessus comme La Bête dans la jungle (nouvelle d’Henry James adaptée par Marguerite Duras pour le théâtre).

Ce n’est pas le lieu ici de décrire ce que j’appellerais ma désintégration, mais peut-être les éléments et les personnes qui m’ont permis d’en faire quelque chose.

Beaucoup de discussions préalables avec Gilles Gaillard, Mathieu Leclerc, Luc Pourrinet, Sophie Denize (...)

L’Intouchable reprenait le principe logistique d’A tout de suite précédent opus Jacquot/Le Besco, de façon encore plus drastique.

En Inde deux personnes à la caméra, une au son. A Paris, on verrait. La petite caméra numérique, malgré ce que j’avais su en faire sur A tout de suite ou Promised land d’Amos Gitaï m’est très vite apparue insuffisante pour le rendu des couleurs (2/4/4 contre 8/8/8), mais pas question non plus de nous en passer pour toutes les situations à risque.

Donc deux caméras, deux supports, le digital intermédiaire deviendrait une nécessité.

Une Aaton XTR légérifiée par Pierre Menoud et mon assistant Baptiste Chesnais, pas de visée vidéo, des batteries lithium-ion (celles du Cantar), pas de pied caméra, un seul objectif : un 20 mm Zeiss, le plus léger que Baptiste ait trouvé sur les étagères de TSF et je crois même les premières tiges en carbone hyper légères, pour supporter le parasoleil. Cela parce que j’aurai, constamment la caméra sur l’épaule ou dans les bras, sauf dans le train Delhi - Bénarès (12 heures de voyage) où un Indien galant l’a prise sur ses genoux tout en pique-niquant dessus, alors qu’un enfant de 4 ans caressait la dorsale du magasin comme le dos d’un animal. Une seule pellicule, la 7218 de Kodak que j’ai malmenée en tout sens : 1 000 ISO, 800 ISO, 500 ISO, 250 ISO, en comptant sur le digital intermédiaire pour réguler la granulation (merci au développement d’Arane). Au bout du compte, la petite XTR m’a portée plus que je ne l’ai portée.

Pour la lumière, quelques fluos avec une température plausible (dans ces pays, la température des fluos approche les 7 000 K pour accroître le rendement lumineux), dénichés dans le grand bazar de Old Delhi (le plus grand bazar du monde). Pour la séquence du mariage, des HMI de fabrication indienne (Shahid) dont, ni les câbles, ni les ballasts n’étaient isolés. Des moustiquaires en guise de diffusion. Quelques draps blancs. Et toujours ma petite valise de lampes torches, tempête, de tête. Des changements de diaph en veux-tu, en voilà.

Seuls un plan de douane à l’aéroport de Delhi et les fortes images des ghât funéraires de Bénarès filmées par Jowan le Besco sont d’origine numérique (DVX 100).

De retour à Paris, j’ai repris un peu (très peu) de poil à la bête. Emmanuel Demorgon, mon chef électricien depuis dix ans, (un frère de cinéma) est venu nous rejoindre. Quelques m3 de matériel : blondes, mandarines, mizar, fluos.

Nous avons fini le tournage à Pont-à-Mousson par -10° et j’ai dû retirer mon pantalon matelassé parce que je faisais du bruit en marchant.

Pour des raisons compliquées, l’étalonnage numérique et le shoot se sont faits chez Eclair grâce à la détermination de Didier Dekeyser, Philippe Boutal au Lustre sous le regard attentif de Catherine Athon.

Les éléments ont été shootés sur North light (3 barrettes 2048 pixels donc chaque pixel purement défini en RVB).

Lorsque j’ai montré une bobine de notre travail à Gilles Gaillard, il m’a dit après l’avoir vu : « Je veux bien faire la compète avec des gens qui travaillent aussi bien. »