L’Oiseau

Yves Caumont est quelqu’un de très fervent, il croit sincèrement et profondément à la puissance narrative, émotionnelle, du plan. Son enthousiasme est très communicatif. Mais ce n’est pas quelqu’un de dogmatique, il remet en cause ses idées et ses goûts. Il donne une intensité au tournage en rendant ses idées vivantes et en faisant entrer ses proches collaborateurs dans cette vie ; cela a été pour moi une grande source de joie.
Yves Caumont, viseur à la main, et Céline Bozon - Sur le tournage de <i>L'Oiseau</i> - Photo Jean-Claude Lother
Yves Caumont, viseur à la main, et Céline Bozon
Sur le tournage de L’Oiseau - Photo Jean-Claude Lother

J’ai un souvenir très particulier du tournage de ce film : on prenait le temps de faire les choses, de les chercher, de les soupeser, de les réajuster. Il y avait quelque chose de l’ordre de l’artisanat, d’une attention donnée aux choses qui était très agréable.
L’exigence d’Yves Caumon est telle qu’il permet aux autres de le suivre par un chemin parallèle et de faire sien son univers. Très vite, il a été dans un rapport extrêmement généreux dans la transmission de ses questions de mise en scène qui m’a permis de me nourrir de tout ce qu’il partageait pour construire et penser l’image du film. Par exemple, il m’a fait écouter le thème musical au piano qui accompagnerait le début, il m’a tenu au courant des évolutions du casting.

En revanche, on a très peu parlé pendant les repérages et la préparation. En effet Yves a préparé seul la quasi intégralité du découpage dans les décors avec une camera vidéo numérique et une doublure. Après ce travail titanesque et solitaire, nous avons longuement parlé de ces images ; loin de fermer les choses, elles ouvraient vers le film. Durant le tournage, je regardais les plans du lendemain ce qui me permettait de me projeter de manière très concrète sur ce qu’on allait faire
Du fait de ce pré tournage, les enchaînements, le montage étaient extrêmement réfléchis, de manière très musicale et souvent sonore d’ailleurs. On peut dire qu’il a composé son film et qu’après on l’a interprété tous ensemble, acteurs, techniciens. Cela a engendré une grande confiance en ce qu’on était en train de fabriquer. Peut-être grâce à cette méthode et au caractère de Sandrine Kiberlain, on a tous eu une sensation de fusion très forte sur ce film.

En termes d’image, je cherchais une forme de souplesse et de caresse. En effet le film est plutôt triste, il ne fallait pas que cela vire au terne, je voulais que Sandrine soit lumineuse. On cherchait un univers coloré, dans une gamme pastel. Il fallait que ce soit vivant, charnel, pas trop monacal.
En effet certains éléments du film portaient déjà cette dimension, l’appartement du personnage qu’interprète Sandrine Kiberlain, par exemple, avec ces fenêtres en hauteur dans la cuisine et le salon donnait une lumière venue du haut, cela avait quelque chose d’un peu mystique (je ne suis pas sur que ce mot plaise beaucoup à Yves). Je crois que c’est ce qui nous a plu dans cet endroit ; quelque chose de retiré du monde, une sorte de refuge souterrain, la lumière naturelle de l’endroit était vraiment très belle et très inédite du fait de cette hauteur.

En préparant ce film, j’ai beaucoup regardé de photogrammes de Val Abraham (photo de Mário Barroso) et de La Lettre (photo d’Emmanuel Machuel), il y a quelque chose que je cherchais à saisir dans la manière d’Oliveira de filmer les femmes qui me semblait en relation avec le film d’Yves.

Chiara Mastroianni - Photogramme extrait de <i>La Lettre</i> de Manoel de Oliveira
Chiara Mastroianni
Photogramme extrait de La Lettre de Manoel de Oliveira
Leonor Silveira - Photogramme extrait de <i>Val Abraham</i> de Manoel de Oliveira
Leonor Silveira
Photogramme extrait de Val Abraham de Manoel de Oliveira


La plupart du temps Sandrine Kiberlain est seule à l’image, c’est véritablement un film portrait. La question de la lumière et de la couleur sur elle était évidemment fondamentale. La blondeur des cheveux de Sandrine irradie l’image de doré et, du coup, on est allé assez loin dans le froid. Le film est tourné en pellicule et j’avais choisi la Fuji Eterna Vivid 500 qui ramenait de très belles gradations dans le cyan-bleu ; le rapport entre le froid et le chaud me plaisait particulièrement, notamment dans le non corrigé ou pas totalement (81EF). Rétrospectivement, ce qui me touchait, c’est cette part imprévisible que la pellicule proposait ; c’était une vraie interprétation, fragile et changeante ; extérieure à nous. Il faudrait retrouver ça dans le numérique, l’imprévu, l’étonnement devant le résultat.

Le film a été tourné en 35 mm quatre perfos, 1,66 et étalonné en argentique par Gérard Savary chez Eclair, pour qui ce fut un de ses derniers étalonnages car il a depuis pris sa retraite, je lui adresse de chaleureux remerciements.

Montage du système mis au point par Gaston Grandin, chef machiniste
Montage du système mis au point par Gaston Grandin, chef machiniste


Je voudrais remercier mon chef machino, Gaston Grandin, pour son investissement et particulièrement pour un plan très compliqué où Anne se noyait dans un étang et finalement ressurgit de l’eau ; Yves voulait faire un 360 degrés qui aurait dans un autre cadre économique nécessité une grue et une tête 3D motorisée et Gaston m’a construit un système fort efficace.

Équipe

Assistante caméra : Marion Befve
Chef électricien : Olivier Godaert
Chef machiniste : Gaston Grandin

Technique

Pellicule : Fuji Eterna Vivid 500
Marériel caméra, machinerie, lumière : TSF Caméra, Grip, Lumière
Laboratoire : Eclair
Etalonnage : Gérard Savary