L’Origine de la violence

L’abondance d’équipements dans la caverne d’Ali Baba qu’est devenu le Micro Salon n’est pas faite pour diminuer les questionnements auxquels nous sommes confrontés lors de la préparation de nos tournages. Quels équipements choisir ?

A l’automne 2014, je suis en préparation du film d’Elie Chouraqui, L’Origine de la violence – adaptation du livre éponyme, et autobiographique, de Fabrice Hubert, Prix Renaudot 2010 –, que nous allons tourner à Weimar, à l’est de l’Allemagne. Le coproducteur allemand ayant choisi Arri Berlin comme prestataire technique, nous pensons utiliser une Alexa.
Inquiet de son encombrement pour les tournages en voiture (l’Alexa Mini n’étant pas encore disponible), je propose de filmer ces séquences avec une caméra Black Magic 4K qui figure aussi dans le catalogue d’Arri. Les images de ces deux caméras peuvent-elles s’accorder ? Pour le savoir, nous faisons des essais qui, visionnés en salle et sur grand écran, donnent des images très différentes comparées à celles de l’Alexa. Les contrastes de la Black Magic sont plus nets et sa colorimétrie plus accentuée, sans être pour autant saturée.

Le résultat au final ? Une sensation d’images plus réalistes qui convient à ce que nous recherchions pour L’Origine de la violence. Elie Chouraqui, qui cadre ses films, est aussi séduit par cette caméra compacte et légère. Adieu donc les Alexa… Nous tournerons la totalité du film avec deux Black Magic que je vais utiliser sans ces retours d’expérience que j’apprécie, personne de mes connaissances n’ayant encore tourné un long métrage avec cette caméra.

De gauche à Droite, M.Miguel Malheiros, à la caméra B. Magic Stephane Chollet, Elie Chouraqui , Stéphane Bidault vox pour la société autreCHOSE. - Dominique Gentil - Dominique Gentil
De gauche à Droite, M.Miguel Malheiros, à la caméra B. Magic Stephane Chollet, Elie Chouraqui , Stéphane Bidault vox pour la société autreCHOSE.
Dominique Gentil
Dominique Gentil


Miguel Malheiros, premier assistant caméra, équipe nos Black Magic de manière spartiate : une commande de point/diaf et retour vidéo HF. Trouver un œilleton électronique, compact et de restitution convenable, reste un des problèmes non résolus des tournages en numérique. Nous utiliserons donc des moniteurs ; celui d’origine de la caméra s’avèrera très précis dans le rendu des couleurs mais n’est pas mobile. Pour cadrer plus aisément, nous devrons ajouter un moniteur 5 pouces sur bras magique.
Pour les objectifs, en plus de l’incontournable zoom Angénieux Optimo 24-290 mm, je retiens la magnifique série d’objectifs Leica Summicron, ce qui nous assure un confort absolu.

La narration de ce film, qui mêle plusieurs époques (1935, la guerre de 39-45, les années 1950 et 2014) est complexe tout comme le fait de devoir tourner uniquement à Weimar alors que l’action se passe essentiellement en France, à l’exception des séquences se déroulant dans le camp de Buchenwald. Enfin les acteurs français ne venant tourner que quelques jours, il est nécessaire de regrouper leurs séquences.
L’intelligence de production de ce film a été d’optimiser des moyens très limités grâce à une très bonne logistique. Le regroupement des lieux de tournage m’a permis de superviser les prélights des décors à venir en même temps que nous tournions et de ce fait de pouvoir passer d’un décor à l’autre très rapidement. Ceux-ci, souvent de plain pied, ont été éclairés depuis l’extérieur avec un gain de temps appréciable. Nous avons pu, dans le même temps, construire notre lumière et mettre en place la caméra.

Une quarantaine de décors, quarante acteurs, quatre époques et un tournage bouclé le 30 novembre 2014, en 25 jours comme prévu, plus une journée de raccords extérieurs à Paris.
Pour soulager notre équipe image très légère pour deux caméras, chaque jour les "back-up" de nos rushes étaient traités au laboratoire Arri à partir des cartes SSD du tournage. Le labo nous retournait le lendemain un disque dur navette et un rapport image précis et détaillé. Dans cette organisation, qui se pratiquait du temps de l’argentique, le laboratoire reprenait ainsi son vrai rôle de contrôle qualité…

La postproduction s’est faite chez Arri à Munich où Andy Lautil, étalonneur, a été très à l’écoute de mes demandes. Le must de la Black Magic ? Son fabricant ne pose pas de cadenas pour protéger son système de codage ; c’est Black Magic qui, avant tout fabricant de matériel postproduction, a créé le logiciel DaVinci Resolve. Cette continuité de la chaîne caméra-étalonnage nous a procuré un réel confort. J’ai pu retrouver, immédiatement et précisément, les intentions de lumière du tournage.
La sensibilité de cette caméra à 400 ISO, qui est celle généralement choisie, me convenait tout à fait. J’ai dû cependant être très attentif à l’exposition : l’image "clip" rapidement, 4/5 diaph de plus et c’est le trou blanc. En fait j’ai apprécié cette contrainte qui m’a aidé à construire mon image, en veillant plus que d’habitude aux contrastes.

Les effets visuels ont été réalisés par la société autreCHOSE. Stéphane Bidault et son équipe ont rendu crédibles les séquences dans le Paris des années 1930 ainsi que celles du camp de concentration de Buchenwald qu’il fallait entièrement reconstituer. Dans une des premières séquences du film, un professeur de français (Stanley Weber) et celle qui deviendra sa compagne, une jeune femme allemande (Miriam Stein), visitent le camp et son musée où ils découvrent l’horreur du premier espace concentrationnaire nazi, construit en 1937.

La grille d'entrée principale surmontée de l'inscription "Jedem das Seine" (Chacun reçoit ce qu'il mérite), - Dominique Gentil - Dominique Gentil
La grille d’entrée principale surmontée de l’inscription "Jedem das Seine" (Chacun reçoit ce qu’il mérite),
Dominique Gentil
Dominique Gentil


Le jour où nous avons franchi la grille d’entrée principale surmontée de l’inscription Jedem das Seine (Chacun reçoit ce qu’il mérite), la réalité a rejoint notre fiction. Nous étions autorisés à filmer librement dans l’enceinte du camp à condition de ne pas faire jouer des acteurs en uniforme nazi et de ne pas y entrer avec nos véhicules techniques.
Portant notre matériel, nous suivions les acteurs à travers les vestiges du camp, nous arrêtant d’étape en étape, de plan en plan. L’acte de filmer en ces lieux avait une autre dimension. Nous savions tous, techniciens et acteurs, Français et Allemands, que notre regard devait être juste…
J’ai alors pensé aux déportés, qui en 1943, au risque de leur vie, ont pris des photos du camp pour alerter le monde…

Dans le portfolio ci-dessous, quelques scènes de L’Origine de la violence, photographié par Dominique Gentil, AFC

Équipe

Premier assistant caméra : Miguel Malheiros
Gaffer : Michael Wagner
Opérateur Steadicam et deuxième cadreur : Stéphane Chollet

Technique