L’art et l’argent

éditorial

La Lettre AFC n°123

La raison en est une réforme du régime des intermittents du spectacle. Institué, en 1969, au lendemain des grèves de 1968, afin d’aider à la création artistique, ce régime indemnise, quand ils ne travaillent pas, les comédiens et les professionnels du spectacle. Car le métier d’artiste a toujours été précaire parce qu’aléatoire et incertain.
C’est une spécificité française que d’avoir inventé ce système de solidarité qui permet à des milliers de créateurs de vivre, tant bien que mal, de leur art et qui, du coup, garantit la richesse créatrice. Mais il est menacé.
La multiplication par deux en dix ans du nombre des bénéficiaires, une dépense doublée donc, et un déficit qui a dépassé 800 millions d’euros en 2002 et qui grossit la facture que règlent les assurés sociaux du régime général au profit des gens de culture, tout cela met l’édifice en danger.

Le Medef, qui voulait tout simplement le supprimer, a accepté, au bout de quatre années de négociations, de signer un compromis avec la CFDT, la CFTC et la CGC. Il améliore les indemnisations de certaines catégories, mais, volontairement, durcit les conditions d’accès et limite l’argent versé, afin d’encourager les bénéficiaires à rechercher du travail.
Pour la CGT, nettement majoritaire, cet accord met en péril les intermittents. Selon ses calculs, environ 30 % des bénéficiaires actuels de ce système risquent d’en être, de fait, exclus. Parmi eux, nombre de personnes travaillant dans les secteurs culturels les plus fragiles, comme le spectacle vivant.

La CGT a raison de dénoncer cet accord qui ne dit rien du mal qui ronge le système et qui le détruit : les abus et les fraudes de toutes sortes. Trop de grandes sociétés audiovisuelles publiques et privées, trop de grandes sociétés de production, trop de grandes institutions culturelles comme l’Opéra de Paris ont organisé leurs budgets en tirant toutes les meilleures ficelles du généreux statut.
Echappant ainsi aux contraintes des contrats à durée déterminée, elles contribuent à creuser profondément le déficit du système, sans être vraiment inquiétées par les dispositions de l’accord du 27 juin.

Le premier de ces bénéficiaires clandestins est, on l’aura compris, l’Etat. Démuni, il trouve là un moyen détourné de faire vivre ses télévisions ou ses établissements culturels aux frais de l’Unedic.
Il faut que l’Etat cesse de montrer le mauvais exemple.
Il faut une réforme qui remette à plat le régime afin de revenir aux sources : aider la création.
(Le Monde, 1er juillet 2003)