L’éditorial d’août 2021

Par Céline Bozon, coprésidente de l’AFC
C’est à nouveau la lecture qui dénoue pour moi l’envie de vous faire part de mes réflexions. Je lis Les Couilles sur la table, un livre que Victoire Tuaillon a écrit à partir de sa fameuse émission radio, et je tombe là-dessus : page 57, à propos de la "communauté de la séduction", années 1990, États-Unis : « Ils (les hommes de cette communauté) en sont arrivés à cette conclusion que la condition masculine était en souffrance à cause d’un affaiblissement de la position masculine dans les rapports de séduction hétérosexuelle. Dans leur système de classification, le modèle valorisé (hégémonique) est celui de l’alpha mâle, le grand séducteur ; le modèle repoussoir (subordonné) est celui de l’AFC ("Average Frustrated Chump"), le pauvre type frustré… ». J’avoue que ça m’a bien fait rigoler !

Le choc de ce mois-ci est, avec force et fracas, Annette, de Carax. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, vous pouvez arrêter là votre lecture !

Adam Driver, le méchant de Stars Wars pour ma fille de 13 ans (je ne l’ai pas vu… mais « Que la Force soit avec toi » résonne sur notre époque).
Adam Driver, le gorille, la puissance faite corps, brute et indomptée (je cite encore une fois Star Wars).
Son nez d’aigle, son regard de loup, le boxeur dans l’arène (la boîte de nuit ), bref je pourrais délirer longtemps…
Adam Driver, le monstre de masculinité qui fait frémir le bas-ventre de n’importe quel(le) amoureux(se) des hommes.
Et qui en plus a de l’humour, fait rire les gens. Et les tue.

Et Carax qui se joue (se fout ?) de tout (l’époque, #MeeToo, Star Wars) et qui joue avec tous les outils du cinéma et nous embarque immédiatement dans son monde, le monde du cinéma ; avec des plans magnifiques (merci Caroline !), des idées, des inventions, tout le temps.
Avec une générosité, un humour, un plaisir, fou et communicatif. « Retiens ta respiration et viens jouer avec moi. »
Le spectacle dans toute sa splendeur.
J’ai pleuré de plaisir cinématographique pendant tout le film. J’en suis encore toute retournée, toute ébahie, toute excitée. C’est Mapplethorpe qui disait, je crois, il y a plus d’énergie dans une œuvre d’art que dans l’acte sexuel. (Ah ben non ! je viens de vérifier sur Internet, c’est l’inverse ! Tant pis, j’assume !)

Et comme j’aime bien dériver, quand mon fils avait 4 ans, il avait dit à sa maîtresse qui lui demandait ce que faisaient ses parents, il avait répondu : « Ils tuent des gens ».
Convocation immédiate de la directrice de la maternelle, le père (réalisateur ) et moi (chef op’). « Votre fils fait des dessins morbides, avec beaucoup de sang, etc. » Ça avait fait coulé beaucoup de paroles avec les copains/copines à l’époque. Et nous riions jaune.
Comme pendant la scène du stand-up chatouille (j’ai immédiatement pensé à ce livre sublime du philosophe Althusser L’Avenir dure longtemps).
Dans la tête d’un enfant de 4 ans, ses parents font des films et dans les films, on tue des gens.

Jusqu’à ce plan post-générique où je vois Caroline Champetier, Julie Gouet, assistante réalisatrice, et Erwan Kerzanet, l’ingé son, des toutes petites lumières, sur un île déserte et noire, au milieu de l’abîme. Îlot de solidarité et d’être ensemble. Plan magnifique, foi absolue dans la puissance du cinéma.

Bref, j’ai été un peu longue ; la vie est immense et pleine de danger et le cinéma aussi. Merci à lui de nous tenir éveillés.

PS Je vous conseille le nouvel opus de Victoire Tuaillon, Le Cœur sur la table, même si le titre est peut être moins appétissant que les couilles… et particulièrement l’épisode numéro 2.