L’éditorial de mars 2022

"Sage comme une image", par Céline Bozon, coprésidente de l’AFC

par Céline Bozon Contre-Champ AFC n°329

Mon fils en CE2 me dit au téléphone qu’il a eu une récompense parce qu’il était sage. « Une étoile par jour et au bout de huit étoiles une image. » Et je réalise tout à coup à quel point cette expression m’a constituée, voire façonnée de A à Z et fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Ou comment une expression peut dicter une conduite.

Image écran, image refuge, image silence, image récompense.

Une image est silencieuse. Elle ne fait pas de bruit. Elle n’a pas d’opinion, pas de colère, elle se tait. Se taire, se terrer.

Une image comme un sage.

J’ai toujours été sage. J’ai fait ce qu’on attendait de moi, j’étais calme, docile sans colère et très à l’écoute.

Très tôt je me suis réfugiée dans les images, partenaires de calme, boucliers contre le réel.

Je classais les photos des albums de famille ; je me plongeais dans les albums de ma grand-mère, qui prenait beaucoup de photographies. Je collectionnais les cartes postales, les tableaux de grands peintres.

Un(e) opérateur(trice) se tait. Ce n’est pas lui (elle) qui parle, c’est le film, le scénario, la mise en scène, les acteurs.

On parle à travers lui (elle). A travers son corps, son langage à lui (elle).

La colère est dans le corps, l’image dans le taire.

Un extrait de Nom, de Constance Debré
« Marcher vers le vide, voilà, c’est ça ; ce qu’il faut faire, se débarrasser de tout, de tout ce qu’on a, de tout ce qu’on connaît et aller vers ce qu’on ne sait pas. Sinon on ne vit pas, on croit qu’on vit mais on ne vit pas, sinon on reste avec tout le bric à brac et on passe sa vie à ne pas vivre. Ce n’est rien d’autre que ça, ce qu’il faut faire. Ce qui compte, ce n’est pas être de gauche ou de droite, riche ou pauvre, ce n’est pas être homosexuel ou hétérosexuel, ce n’est pas vivre dans une chambre de bonne ou un château, être propriétaire ou locataire, marié ou pas marié, on s’en fout complètement de ça ; comme on s’en fout d’être une femme, ou blanc ou noir ou d’avoir une famille de ministres, de camés ou d’être orphelin, d’être victime ou coupable, c’est rien tout ça, libre ça n’a rien à voir avec ce fatras, avec le fait d’avoir souffert ou pas souffert, être libre, c’est le vide, ce n’est que ce rapport avec le vide.

Aujourd’hui j’ai un corps. Il a fallu des années. Ce n’est pas une idée, ce n’est pas un discours, c’est un fait véritable dans la glace. Mon corps est apparu quand je suis devenue écrivain, quand je suis devenue homosexuelle, quand je me suis débarrassée de beaucoup de choses et que j’ai perdu le reste. Concrètement dans mes muscles et mes tendons, dans mon visage et les os de mon crâne. Ce n’est pas mon nom, c’est mon corps qui m’intéresse. Il faut être très concentré, très sérieux quand on vit comme ça. »