L’exception culturelle française est morte

AFC newsletter n°106

Le président de Vivendi Universal a estimé « les angoisses franco-françaises archaïques » et « totalement artificielle » l’inquiétude des professionnels français du cinéma qui redoutent que l’américanisation du groupe de M. Messier ne gagne toute l’industrie. « C’est l’alliance évidente du cinéma et de la télévision », a affirmé M. Messier. « Notre stratégie aux Etats-Unis est en train de prendre forme. En réalisant cet accord, nous répondons à ce qui avait été perçu comme une relative faiblesse de Vivendi Universal », a-t-il précisé. « C’est-à-dire l’intégration dans la télévision et la distribution aux Etats-Unis. » Après son annonce d’un accord avec le bouquet satellitaire EchoStar la semaine dernière, Vivendi dispose désormais d’une capacité importante de production cinéma et télévision, mais aussi d’une capacité non moins importante de distribution de ces produits outre-Atlantique.

A la défunte exception, M. Messier affirme préférer la « diversité » culturelle, qui pour lui s’exprimerait par la complémentarité entre la « fabuleuse major » issue de la fusion Universal-USA Networks et le pôle français regroupant Canal+ et Studio Canal. Ces propos ne risquent pas de rassurer les professionnels du cinéma français. Le vague à l’âme qui affecte le cinéma français ne date pas d’hier et ce ne sont pas ses bons résultats des deux dernières années, en termes de fréquentation, qui suffiront à l’apaiser. Encore moins les grandes manœuvres de Jean-Marie Messier qui rendent encore plus problématique la situation. La chaîne Canal+, passée sous le contrôle de J2M, constitue en effet une pièce maîtresse du système cinématographique français dans lequel elle injecte plus d’un milliard de francs.

Aujourd’hui, Pierre Lescure ne fait plus mystère du fardeau que représente le cinéma français pour Canal+. La chaîne cryptée, déjà en mauvaise santé pour cause de concurrence thématique et de la difficulté qu’elle éprouve à renouveler son image, compte de moins en moins dans le grand dessein de Jean-Marie Messier et risque au mieux de se transformer en cheval de Troie du film américain. C’est dire combien est grande l’angoisse des producteurs et des réalisateurs concernés. Depuis plusieurs mois, ceux-ci redoutent le désengagement de Canal+ devenu le premier financier de l’industrie. Par le biais de préachat ou par son intervention, dans la production, Canal+ a, plusieurs années durant, participé au financement de la quasi-totalité des films produits en France. Ces derniers mois, la politique de production s’est faite plus sélective et tous les films n’ont pas été préachetés. Les professionnels sentent le sol trembler sous les pieds de leurs caméras et, pour la plupart, ne voient de salut que du côté de l’Etat. Pourtant, comme le dit l’un d’entre eux, Paolo Branco, « le cinéma a existé avant Canal et devrait pouvoir lui survivre ».

Jusqu’à la fin de 2004, Canal+ reste lié au cinéma français par un accord, conclu sous l’égide des pouvoirs publics, qui non seulement lui fixe d’importantes obligations financières, mais encore garantit la diversité des œuvres qui en bénéficient.
Malgré l’enthousiasme des uns et des autres, les experts se demandent toutefois si l’accord annoncé hier peut profiter autant à Jean-Marie Messier que celui-ci veut bien le dire. Parmi les réserves énoncées, celles des chocs potentiels entre des personnalités aussi fortes que celles de M. Messier et de Barry Diller. Ce dernier, qui évolue depuis près de trente ans dans le monde des médias et du cinéma américains, est connu pour n’accepter les ordres de personne. Or, il récupère dans l’affaire un pouvoir énorme puisqu’il est à la fois PDG de Vivendi Universal Entertainment, qui regroupe Universal Studios et les activités divertissement d’USA Networks, mais aussi PDG du groupe qui rassemble les activités restantes d’USA Networks, baptisé USA Interactive.
(Le Monde et Libération, 18 décembre 2001)