L’hommage de Nathalie Durand, AFC, à Agnès Godard, AFC, pour son Prix Angénieux

Contre-Champ AFC n°322

Dans le cadre du 74e Festival de Cannes, Angénieux a rendu un vibrant hommage au talent de la directrice de la photographie Agnès Godard, AFC, en lui remettant le huitième "Hommage Pierre Angénieux", premier à être reçu par une femme. Lors de la cérémonie à laquelle assistaient de nombreuses personnalités amies, Nathalie Durand, AFC, a lu le texte qui suit.

Bonsoir,
Je suis heureuse d’être ici ce soir au côté d’Agnès Godard. On est en 2021, le Festival de Cannes a repris ses droits sur la pandémie. Il touche à sa fin, ce fut une bonne année je crois et j’en veux pour preuve le Prix Pierre Angénieux, décerné à Agnès.
Je sais que la question du genre dans nos métiers te semble parfois exacerbée, Agnès, mais je ne peux ignorer le fait que tu es une femme, et moi, en tant que membre de l’AFC et du collectif Femmes à la Caméra, je me réjouis et même je suis fière qu’Angénieux ait choisi, cette année, de t’honorer et d’encourager Pamela Albarrán.
Je me suis souvent questionnée sur les évènements qui nous poussent vers autre part, vers le vaste monde. Quelles forces animent une jeune femme, fille de vétérinaire, élevée dans le Berry, seule fille et dernière d’une fratrie de quatre, à devenir directrice de la photo et à vouloir faire du cinéma ? Il y avait bien la fibre de la photo de famille chez ton père mais à l’époque, peu de femmes pouvaient servir de modèle dans ces métiers.
Je sais que tu es passée par l’école de journalisme, c’est donc qu’il y avait bien chez toi la nécessité de rendre compte du monde. Mais le cinéma s’est invité, tu as tenté et réussi le concours de l’Idhec. Ce fut ta porte d’entrée dans le cinéma et là, ta rencontre avec Alekan a déterminé, d’une certaine manière, ta famille de cinéma. Quelle famille ! Être portée dans le métier par Henri Alekan, Louis Cochet, Sacha Vierny, Robby Müller…

Filmer, c’est retranscrire des histoires, avec toi, c’est avant tout la transmission de sensations. Le cadre, c’est quelque chose que l’on vit. C’est trouver la bonne image pour traduire la pensée d’une ou d’un cinéaste.
Pour t’avoir vue à l’œuvre, je peux témoigner de cette recherche incessante du cadre et de la lumière, de l’image juste. Il n’y a pas d’image pour l’image mais toujours l’expression du ressenti, le résultat d’un geste, l’aboutissement d’un engagement.
J’ai dénombré dans ta filmographie une cinquantaine de films, en France bien sûr, mais pas que : des tournages au Mexique, en Macédoine, en Angleterre, en Lituanie, en Suisse, aux États-Unis, au Portugal bientôt…L’image est universelle, le Festival de Cannes en est la preuve, elle se moque des frontières et nombre de réalisatrices et réalisateurs étrangers l’ont compris en t’invitant à travailler dans leur pays.
Et bien sûr ce serait difficile de ne pas parler de ta collaboration avec Claire Denis, avec laquelle tu as fait plus de quinze films. Toujours différents, sans cesse à la recherche du bon outil pour le projet à venir. L’arrivée du numérique finalement n’a été qu’une étape, un nouvel outil à s’approprier et un nouvel espace de création pour exprimer ta poésie. Parce qu’il s’agit bien d’une écriture poétique.
J’admire ton travail, et je ne suis pas la seule. J’y vois ton rapport engagé à l’image, une manière de rendre compte du monde, une façon d’être femme, citoyenne, artiste.
Aujourd’hui la jeune génération a des modèles pour se projeter dans le métier, tu en fais partie.
Et finalement je remercie Angénieux pour cette mise en lumière de ton travail, de ton talent et de nous rappeler que Godard n’est pas toujours Jean-Luc, aujourd’hui Godard se féminise avec toi, Agnès.

En vignette de cet article, Agnès Godard et, en arrière-plan, Nathalie Durand - Photo Alain Curvelier