LTC... Guy Lainé, fondateur de GLPP-GLPIPA, témoigne
Ayant fondé la société GLPP-GLPIPA, et occupé le poste de directeur général de Telcipro pendant deux ans, au risque de paraître présomptueux, je m’accorde quelque légitimité pour parler des industries techniques. Et je m’autorise donc quelques commentaires.
Pour quelles raisons la France, l’un des trois ou quatre pays les plus gros producteurs d’audiovisuel, voit-elle mourir son industrie ? Certes le numérique va remplacer l’argentique, mais nous le savons depuis longtemps, même si quelques aficionados de la " sensualité " de la pellicule résistent encore. Le photochimique est moribond depuis longtemps et l’inévitable n’a pas été évité. LTC n’est que le résultat d’une lente agonie, qui a commencé depuis longtemps, pour une multitude de raisons.
Les dirigeants historiques du photochimique n’ont pas su anticiper.
Eclair, en devenant minoritaire dans le groupe Tectis, a (peut-être) baissé les bras un peu vite, alors que ce laboratoire, qui possédait d’importants actifs, aurait dû être la locomotive de cette alliance. Le développement des négatifs était encore le portail obligé pour la clientèle, et donc le labo avait l’opportunité commerciale de développer son outil de travail.
La famille Franay LTC se considérait comme l’aristocratie de la pellicule et ne voulait pas entendre parler de vidéo… En 1981, j’ai sollicité Madame Franay pour lui proposer de développer ensemble une structure vidéo dédiée à la publicité. Elle a refusé tout net. Quelques années plus tard, elle bradait le laboratoire LTC, et la SCI propriétaire des immeubles, à VDM.
En 1988, GTC s’associait à Giancarlo Paretti, l’homme d’affaires italien soutenu par le Crédit Lyonnais. Je passe sur tout le reste car nous savons tous qu’il y avait trop de laboratoires. Ce qui explique d’ailleurs que ce sont les clients qui décidaient des tarifs.
Les tarifs
Trop de concurrence est nuisible. Alors qu’il était impossible de négocier avec les laboratoires anglais, on obtenait des laboratoires français des prix et des délais de paiement inouïs, source de frais financiers… Le rôle d’une industrie qui investit, et qui a donc déjà pris un risque, n’est pas d’aider la trésorerie de ses clients. S’ajoutent les dépôts de bilan des producteurs, la multiplication d’essais et de traitements spéciaux sans facturation supplémentaire, la prolifération de courts métrages et de longs métrages sous-financés, la demande d’outils trop souvent inutiles, etc. Dans ces conditions, le développement des industries s’est fait à contre-courant, car on ne peut pas investir dans des machines, et financer la production cinématographique française.
Je me souviens lorsque j’étais directeur général de Telcipro (1998), d’une grand-messe organisée à grands frais sous les tropiques par Daniel Toscan du Plantier (Unifrance), qui disait emmener la « production française se ressourcer sous les palmiers ». Parmi ceux qui se ressourçaient, certains devaient beaucoup d’argent au laboratoire Telcipro. A cette époque, Telcipro avait plus de 15 % de son CA d’impayés.
Les « ayants droit »
Les flux financiers de l’audiovisuel n’arrivent pas jusqu’à ses industries.
Parlons des " ardoises ". Notre " exception culturelle " est magique. Elle permet de fabriquer des films, de déposer son bilan, et de ne pas payer ses fournisseurs, tout en continuant d’encaisser des droits. Les budgets de productions constitués à 50 % de droits n’étaient pas rares. Au premier centime encaissé les " ayants droit " sont payés en priorité.
Pourtant les " ayants droit ", en Europe, représentent une masse financière équivalente au CAC 40… Ceux-ci devraient aussi avoir des " devoirs ". Prenons (par exemple) le stockage des négatifs. Pendant des décennies, les laboratoires ont conservé gratuitement les négatifs. Or c’est un travail à part entière, pour lequel il faut de l’immobilier, des normes techniques et du personnel pour archiver et gérer les transferts de droits. Les " ayants droit " ne veulent (ne voulaient) pas payer ce service, ce qui peut s’accepter lorsqu’il s’agit de La Grande vadrouille, mais pas d’un film qui tire une copie tous les cinq ans, et pour lequel il faut recommencer tout le processus de vérification, de réglage, voire d’étalonnage, etc., au tarif d’une copie au mètre.
De cette situation découle le problème de la conservation du patrimoine, car les films sans vie commerciale ont été stockés avec moins de prudence. C’est ainsi qu’une partie de notre mémoire cinématographique disparaît, car un film qui n’a pas eu la chance d’être recensé par le CNC risque de n’être jamais restauré, la restauration se faisant aux frais du contribuable, mais au profit des " ayants droit ". Nous connaissons tous le discours du petit-fils qui veut protéger la mémoire de son grand-père… jusqu’à ce qu’on lui propose un chèque.
Dans le cas de LTC, la richesse produite par le laboratoire au cours de l’histoire s’est cristallisée dans une SCI désolidarisée des actifs de l’usine. Tout le monde n’est pas perdant.
Et si j’ai eu quelques indulgences pour Tarak Ben Ammar qui a, il faut bien le reconnaître, repris des industries françaises dans des conditions difficiles, il reste qu’il n’a jamais eu la vision de ce qu’était cette industrie. Je pensais l’homme plus élégant que les méthodes qu’il vient d’utiliser, avec Jean-Robert Gibard comme exécutant. Il est certain qu’une monteuse négative qui pratique ce métier depuis 30 ans n’a aucune chance de retrouver un emploi. Le CNC, toujours absent dès lors qu’il s’agit des industries techniques, aurait pu anticiper cette évolution et proposer la création d’un fonds de soutien, prélevé sur les " ayants droit ", pour favoriser la formation et la réinsertion des personnels du photochimique. Si la monteuse a perdu son boulot, les " ayants droit ", eux, continuent de faire recette. Et Tarak Ben Ammar pourra toujours faire tirer ses copies dans son laboratoire tunisien de Gammarth.
Guy Lainé, le 15 décembre 2011