La Cité du cinéma se meurt à Alicante

Par François Musseau

La Lettre AFC n°221

Libération, 25 mai 2012

La mégastructure de tournages créée en 2005 subit le contrecoup de la crise immobilière espagnole.
Le lieu avait trois grandes ambitions : devenir le deuxième complexe cinématographique en Europe ; incarner le rêve, enfin réalisé, du grand cinéaste Luis Garcia Berlanga, né sur cette terre, décédé en 2010 ; servir de vitrine culturelle à Alicante, ville du littoral exclusivement associée au simple tourisme de plage.

Non seulement la Ciudad de la Luz (Cité de la lumière) n’a atteint aucun de ces objectifs, mais elle offre à présent l’image piteuse d’un projet pharaonique de bord de mer à l’activité quasi nulle, sali par d’innombrables poursuites judiciaires, ruiné, objet de courroux de la part de l’Union européenne qui lui réclame des comptes et certifie sa mort lente.

« Grandeur »
Concrètement, au nom de « l’incurie » de sa gestion et pour « concurrence déloyale », Bruxelles réclame la restitution de 273 millions d’euros à ce mégacomplexe qui, vu du ciel, ressemble à une maquette futuriste entourée de terrains vagues couverts d’herbes folles. Or, les responsables seraient bien en peine de rendre le moindre sou à l’exécutif régional, puisque la Ciudad de la Luz, gouffre financier, doit pour commencer 190 millions d’euros à une pléthore de fournisseurs, particuliers ou producteurs…
Née en 2005, cette Cité du cinéma faisait partie des réalisations mirifiques qui, comme la Cité du théâtre ou celle des arts et des sciences, devaient témoigner de la « grandeur » de la région valencienne, dont la prospérité reposait sur la fièvre immobilière. Aujourd’hui, alors que le secteur du BTP s’est effondré (ici comme dans tout le pays), le mégacomplexe est devenu un « cadavre culturel », symbole déchu d’une folie des grandeurs basée sur les dépenses sans frein des deniers publics. Car, dès sa création, la Ciudad de la Luz a été entièrement subventionnée par le gouvernement régional de Valence qui, aujourd’hui ruiné lui aussi, cherche par tous les moyens à s’en débarrasser.

L’Union européenne ayant fixé un prix-plancher (soit 273 millions d’euros, la somme que la Cité de la lumière doit rendre à la région), pas un seul acquéreur ne s’est déclaré, juste une poignée de locataires. « Ce projet a été une erreur totale, enrage J.R. Segui, chroniqueur au quotidien Levante. Mauvaise gestion, absence de contrôle, manque de planification. » Selon les détracteurs, la Cité de la lumière était à l’origine conçue pour justifier un immense complexe urbanistique, qui n’a finalement pas vu le jour, mais qui a supposé l’expropriation de particuliers - lesquels réclament 42 millions d’euros d’indemnités.

Torero
Parmi les 59 tournages de films qui se sont déroulés à la Ciudad de la Luz, tous subventionnés par la région Valence, le plus notable restera Astérix aux Jeux olympiques, de Thomas Langmann et Frédéric Forestier… D’autres productions ont englouti des sommes considérables pour un résultat nul : c’est le cas de Manolete (torero légendaire), biopic grand écran ayant levé la bagatelle de 4,7 millions d’euros de subventions sans jamais être projeté dans une salle. Pour l’heure, l’endroit agonise. Le leader socialiste régional, Ximo Roig, soupire : « Autant éteindre au plus vite les lumières de cette lamentable mégalomanie. Le plus tôt sera le mieux. »

(François Musseau, Libération, 25 mai 2012)