La Petite Lili

Dès les premières discussions, il avait été décidé que le film se tournerait en numérique. La liberté demandée par la mise en scène était impossible en 35 mm.

Deux caméras à l’épaule avec zoom presque tout le temps, une petite équipe, machinerie et électricité minimales pour la première partie du tournage, plusieurs scènes capitales devant se tourner en plan-séquence avec possibilité d’enchaîner les prises très vite.

La définition du 16 mm agrandi ne me paraissait pas suffisante pour restituer la luminosité et la transparence des paysages de Bretagne, et serait mise en difficulté fortement pour les nuits et les ambiances "making-off" de la scène finale. L’idée que je me faisais du numérique HD était que la définition de l’image se trouvait quelque part entre le 16 et le 35, mais quand même tout près du 35...
Alors, "numériquons" ! Et voilà que le vingt-et-unième siècle me saute dessus en profitant d’un scénario particulièrement séduisant, et d’un sacré metteur en scène (c’était une première collaboration, je n’en menais pas large).

Je m’approche donc de la nouvelle technologie, qui m’attaque aussitôt en envoyant son avant-garde de choc : le nouveau vocabulaire technique ! Retour à l’école primaire, les mots "tendance néo-techno" se précipitent et un peu tendance à se mélanger furieusement : DV, mini DV, SD, HD, 24P,25P, 50i, 60i, progressif, entrelacé, pixel, les blancs à 800 millivolts, attention aux infra noirs, j’vais rentrer dans l’menu, Colossus, Da Vinci, Spirit, Spector, oscilloscope, vecteur-scope, Poggle, SDI, 9 pouces, 24 pouces, une patate à gauche en postprod, un defocus dans le haut des rouges à droite...
De l’intérêt d’avoir des assistants qui savent vivre avec leur temps et sont prêts à devenir formateurs de leur propre dir-phot ! Un grand merci à mes valeureux assistants, Stéphane Degnieau et Luis Armando Arteaga, pour le magnifique travail de préparation et la facilité de tournage ensuite.

Parce qu’ensuite, c’était plutôt agréable, en fait, la HD. Le résultat immédiat (l’image tout de suite sur un bel écran 24 pouces telle qu’elle est et qu’elle sera), le vrai dialogue retrouvé avec le réalisateur sur la lumière puisqu’« on aura ce qu’on voit » sur le moniteur de contrôle, ont fait que le brouillard dans lequel j’avais l’impression d’avancer avant les premiers jours de tournage s’est dissipé très vite au soleil du Morbihan (40 minutes de pluie pendant tout le mois de septembre ! La Bretagne... ).
Soleil dont il faut par ailleurs se méfier terriblement, car je pense que ces caméras (caméscopes ?) sont des animaux de l’ombre, de l’intérieur et de la nuit. Pour se défendre des forts contrastes des jours ensoleillés, il aurait fallu beaucoup plus de gros matériel électrique qu’avec de la pellicule. Dans ce cas, un seul vrai allié-complice : le metteur en scène, qui, justement parce que la vision du résultat est immédiate a pu ne pas demander l’impossible.
Les gros moyens électriques, par contre, ils étaient à Paris, en studio, dans un décor qui reproduisait un petit bout de Bretagne, un peu de la maison, un peu de la forêt, un peu de bord de mer. Le film raconte à ce moment-là un tournage, c’est un peu un "making-off". Alors la lumière que l’on voit, c’est celle de l’autre film. Les plans à éclairer n’étaient presque pas les nôtres, on tournait, par moments, comme des voleurs sur un tournage étranger. Bizarre impression que de travailler à fabriquer une lumière de rôle, un axe qui ne sera jamais celui de notre caméra (caméscope ?), mais, cela marchait d’autant mieux qu’on s’appliquait à la faire comme il fallait, pour cette fausse caméra (qui était d’ailleurs une vraie, elle, une Panaflex, avec sa vraie tête à manivelles et sa vraie dolly, comme avant...). Vous me suivez ?

Tout cela pour dire que je me suis bien fait plaisir, et je ne suis pas le seul, avec tous ces pixels, coaxiaux, rets et menus plus ou moins préformatés...
Des grands mercis à la pelle : à Nathan Miller qui a tenu la seconde caméra (caméscope ?), rusée et amicale ; à Pascal Pajaud, chef électricien, à Dominique Legueux, chef machiniste, et à leurs équipes ; à Guillaume Lips, étalonneur numérique chez Digimage ; Olivier Chiavassa et sa bande à qui l’image projetée du film devra plus qu’on ne peut le dire... »

Technique