La Reine des pommes

J’ai tourné deux courts métrages avec Valérie Donzelli en tant qu’actrice : On est mort un million de fois et Ni vue ni connue de Dorothée Sebbagh. Et puis un jour elle m’a appelé pour faire un court métrage en super 8, Il fait beau dans la plus ville du monde. On aimait bien dire que les deux tiers de l’équipe était enceinte puisqu’on était trois : Valérie et moi (enceintes) et un ingénieur du son.
Quelque temps après elle m’a dit : « On part à New York début janvier pendant une semaine, on va faire un film je te raconterai tout ». On part donc à New York, Valérie et moi, avec une HVX 100. On habite chez Laure Marsac, une actrice du film. A l’aéroport Valérie commence à me raconter des bouts d’histoire : Une fille qui est toujours la victime, l’histoire d’une lampe cassée, des brides. Elle me précise que c’est un film un peu plus long que Il fait beau (qui fait une dizaine de minutes). On tourne quelques scènes à New York pendant une semaine et on rentre à Paris et là elle écrit le reste du film, me le raconte et… c’est un long métrage.
Un mois plus tard, en février, on tourne pendant quatre semaines. Valérie met en place une méthode où elle réécrit en fonction des décors, des acteurs. Valérie foisonne d’idées visuelles, de mise en scène, de rythme, de jeu et en même temps elle délègue beaucoup le cadre, les axes, les valeurs, on peut dire que c’est un tournage joyeux et bordélique. Et puis, comme elle joue dedans, elle a besoin d’un regard extérieur qui est aussi celui de Jérémy Elkaim quand ce dernier ne tourne pas.
Je m’amuse beaucoup avec le format 1,37 que malheureusement on n’utilise plus beaucoup. Avec Frédéric Savoir de chez Amazing, en postproduction, nous avons fait un retour sur film en 1,85 mais avec des bords floutés en gauche droite de manière à ce que cela ne fasse pas le côté télé au cinéma, quand les bords sont très nets. Sur le tournage Valérie regarde les rushes au fur et à mesure du tournage et en fonction de ce qu’elle trouve réussi ou raté, elle réécrit à nouveau, décide de refaire certaines choses.
Et naturellement il y a un moment où je ne peux plus suivre à cause d’autres engagements et c’est Claire Mathon et Sébastien Buchmann qui font les tournages d’après par "sessions". Au final c’est évidement un film d’une grande liberté qui se réajuste en permanence au contact du réel, ce grand luxe qui n’existe que dans les films totalement fauchés. J’ai retrouvé une forme de plaisir que j’avais eu à faire Fantômes de Jean Paul Civeyrac, seule à l’image, suivant toutes les décisions, d’ordre de tournage, de décors, découvrant l’histoire au fur et à mesure, jouant avec très peu de lumière.
Sur le film de Valérie, nous avions une mandarine et un 350 W Fresnel.
Je pense que, comme pour les metteurs en scène, le fait de restreindre le nombre d’outils, de réduire la machine à son minimum, permet de trouver un souffle, une envie, une forme d’énergie très puissante. Je pense que c’est important de continuer à faire ce genre de film. De se retrouver avec juste une caméra et rien d’autre permet de se reposer plein de questions sur pourquoi on fait les choses, retrouver les logiques simples et vitales dont on s’éloigne vite quand les choses s’alourdissent.
J’appellerais ça la joie du dénuement… et j’espère que cette énergie s’en ressent à la vision du film.