"La Sortie des usines Lumière" 2022 tournée par Tim Burton

Par Jean-Marie Dreujou, AFC, et Gilles Porte, AFC

Comme chaque année, un remake du film de Louis Lumière Sortie d’usine (mai 1895) est tourné par le Prix Lumière, en l’occurrence en 2022 le cinéaste Tim Burton. Gilles Porte, AFC, avec à son côté Jean-Marie Dreujou, AFC, était à l’œuvre pour filmer cet évènement. Tous deux rendent compte ici de ce moment cinématographique singulier.

« C’était joyeux, Tim Burton enthousiaste, le public nombreux, un petit moment de cinéma unique. »
"La Sortie des usines Lumière" 2022 vue par Jean-Marie Dreujou, AFC

Samedi 22 octobre 2022 : "La Sortie des usines Lumière", par Tim Burton
Comme le veut la tradition, Tim Burton ayant reçu la veille le Prix Lumière, c’est lui qui mettait en scène "La Sortie des usines Lumière". Succédant à Pierre-William Glenn, AFC, c’est Gilles Porte, AFC, qui filmait cette sortie.

Tim Burton, Gilles Porte et Thierry Frémaux - À gauche, Sweva Martinetti – Photo Jean-Marie Dreujou
Tim Burton, Gilles Porte et Thierry Frémaux
À gauche, Sweva Martinetti – Photo Jean-Marie Dreujou

Une caméra 35 mm Panavision Millenium XL2 et une caméra Sony F65 "Panavisée" à l’emplacement exact de la prise de vues originale, une autre Sony F65 à côté pour filmer des gros plans de tous les invités qui figuraient dans cette sortie.
Aussitôt la prise terminée, elle était relue et vérifiée dans la salle de projection de l’Institut.
Après trois prises, le plan était dans la boîte.
C’était joyeux, Tim Burton enthousiaste, le public nombreux, un petit moment de cinéma unique.
Pendant le rangement du matériel, des étudiants sont venus s’informer sur notre métier. Nous les avons longuement renseignés et encouragés.
Un moment de partage à l’endroit exact où, en 1895, a été tourné le premier film avec le Cinématographe Lumière !

L'équipe image - De g. à d. : Maxime Robert, Fleur Champanhe, Paul-Jean Tavernier, Gilles Porte, Sweva Martinetti, Clément Duval et Guillaume Mattana – Photo Jean-Marie Dreujou
L’équipe image
De g. à d. : Maxime Robert, Fleur Champanhe, Paul-Jean Tavernier, Gilles Porte, Sweva Martinetti, Clément Duval et Guillaume Mattana – Photo Jean-Marie Dreujou

« J’ai éprouvé un sentiment de liberté que je n’avais jamais éprouvé avant. »
"La Sortie des usines Lumière" 2022 vue par Gilles Porte, AFC

9h 45’... Rue du Premier film... Lyon... Guillaume, Sweva, Clément, Maxime, Fleur, Paul-Jean, Oussama, Jonathan et Sophie sortent les caméras et les projecteurs des camions. Chacun retrouve des emplacements quittés il y a un an, lorsque Jane Campion avait mis en scène sa propre sortie des usines Lumière.
C’est difficile, comme métier, pour apprendre les caméras ?

Le cadre et le format des caméras sont imposés. L’emplacement est indiqué au centimètre près par une lumière bleue, incrustée dans le goudron. Aucun risque cette année que la caméra de Tim Burton se retrouve "à l’épaule" contrairement à celle des Frères Dardenne qui avaient mis en scène cette sortie en 2020.
L’éditorial de novembre 2020

Si une grue a été un instant envisagée, cette idée - proposée par Jean-Marie Dreujou, qui a fait le déplacement pour m’accompagner - a été très vite abandonnée afin de ne pas alourdir une journée millimétrée...
La date et l’heure de cette "Sortie des usines Lumière" 2022 ne sont pas choisies par Tim Burton ni par moi-même mais bien dictée par les impératifs de l’organisation. Le ciel est d’azur. La lumière est "de face". L’ombre d’un bâtiment couvre la moitié de l’image 1,33. Trois projecteurs (4 kW) sont au garde à vous derrière trois cadres de diffusion 120 dans le seul but de décontraster l’image sans entraver la vue celles et ceux qui ont fait le déplacement.

Gilles Porte, Tim Burton et les ouvriers sortant de l'usine Lumière en 1895 - Photo Jean-Marie Dreujou
Gilles Porte, Tim Burton et les ouvriers sortant de l’usine Lumière en 1895
Photo Jean-Marie Dreujou

Tim Burton apparaît suivi comme son ombre par Thierry Frémaux. Nous sommes prêts !
J’explique au cinéaste américain quelle caméra filme quoi. Il jette un regard au moniteur qui est à sa disposition puis pointe un dessin tatoué sur mon avant-bras.
Tim Burton : « C’est quoi ça ? »
Moi : « Un autoportrait de ma fille, quand elle avait 4 ans... »
TB : « Elle a quel âge aujourd’hui ? »
Moi : « 20 ans... »
TB :« Elle dessine toujours ? »
Moi : « Non... Plus du tout ! »

Tim Burton regardant le moniteur - Photo Sabine Perrin / SP Press Photoghraphy
Tim Burton regardant le moniteur
Photo Sabine Perrin / SP Press Photoghraphy

Entre deux prises, celles et ceux qui nous observent doivent penser que le cinéaste américain me demande quelques informations techniques mais pas du tout :

« Au lieu de m’encourager, de me laisser dessiner à ma manière comme lorsque tu es enfant, on m’obligerait à appliquer des règles... Ça m’a énormément frustré jusqu’au jour où j’ai décidé de dessiner comme je voulais... Je te jure que dès cet instant, j’ai éprouvé un sentiment de liberté que je n’avais jamais connu auparavant. » (Tim Burton)
En me parlant, Tim Burton ne quitte pas une petite poupée qu’il tient dans ses mains...

Tim Burton, marionnette en main, Gilles Porte et les caméras - Photo Jean-Marie Dreujou
Tim Burton, marionnette en main, Gilles Porte et les caméras
Photo Jean-Marie Dreujou

Les barrière en métal sont retirées par le service d’ordre. La rue du Premier film est à nouveau ouverte au public. Près d’une caméra encore sur son pied, des passants se pressent pour se faire immortaliser à leur tour. Je remarque une jeune fille de l’âge de la mienne. Ses yeux brillent. Je lui demande ce qu’elle souhaite faire plus tard. Sa réponse fuse : « Directrice de la photographie ! ». Jean-Marie Dreujou s’approche. Voilà que nous échangeons alors tous les trois, Jean-Marie, Joanna (18 ans) et moi. La caméra Sony F65 et son zoom Angénieux Otptimo nous guettent tel un cyclope échappé des films de Tim Burton.

C’est un privilège d’exercer le métier de "directeur de la photographie" en croisant des personnalités aussi singulières que Tim Burton. C’est magnifique de pouvoir partager sa passion avec Joanna et d’autres jeunes qui ont fait le déplacement devant des usines qui ont vu naître le cinématographe.

Avant que la caméra ne regagne sa caisse matelassée, j’en profite pour demander à ma mère (lyonnaise d’origine), 83 ans, de regarder dans l’œilleton. Comment ne pas me souvenir alors de cet « immense sentiment de liberté jamais connu auparavant » lorsque je lui annoncé, il y a plus de 30 ans, que je "montais à Paris" pour faire du cinéma....