La Vie très privée de Monsieur Sim

C’est en plein été que Michel Leclerc et moi commençons nos premières séances de travail autour du scénario de Monsieur Sim. Il me parle d’abord de son envie de décrire une "France moche". Des paysages constitués de ronds-points absurdes, de zones industrielles et de zones commerciales infinies qui se ressemblent toutes, mais aussi des centres villes où l’on retrouve la même zone piétonne avec les mêmes enseignes.

C’est en l’écoutant me parler de ce monde envahi de marques que je que comprenais peu à peu qui était Monsieur Sim. Il l’incarnait déjà complètement dans sa démarche, sa façon de parler, de s’isoler, d’être heureux et déprimé en même temps.
Puis nous avons abordé les grands espaces et l’ouverture du film dans sa deuxième partie vers un univers lumineux et vaste où le personnage change de proportion dans le cadre et devient infiniment petit devant la nature. D’abord les hauts plateaux désertiques et enneigés puis la mer et ses îles paradisiaques amènent le film vers un épilogue hollywoodien où l’on peut enfin sortir de la bulle de Monsieur Sim.
Même si les contrastes paraissent extrêmes, ce "road-movie" s’inscrit dans une cohérence géographique que nous avons pris soin d’établir par de nombreux repérages permettant de situer le personnage dans son errance entre la ville et la montagne.
Le Scope anamorphique offrait d’emblée une possibilité intéressante d’embrasser ce paysage vu essentiellement depuis l’intérieur de la voiture.

En préparation, nous nous sommes demandés comment faire du GPS un personnage. Au début, Sim est filmé de manière assez classique, sur le capot ou les portières puis rapidement nous avons eu envie de traverser le pare-brise et d’adopter le point de vue du GPS quand Sim commence à lui parler et qu’il/elle finit par lui répondre.
Il a été envisagé beaucoup de solutions : retirer le pare-brise, le déformer, le percer en un point précis… Il a d’ailleurs été déterminant dans le choix de la voiture d’avoir un écran de GPS suffisamment haut pour permettre cet axe ainsi qu’un contre-champ offrant une perspective sur la route.
J’avais obtenu un modèle de voiture avec toit panoramique en verre pour pouvoir ventouser des accroches facilement en installant même une tige entre deux ventouses de manière à pouvoir faire un travelling sur poulie. Laurent Passera avait étudié des systèmes d’accroches aussi compactes que possible pour que l’axe optique reste à hauteur de visage. Je devais pouvoir panoter à 180° dans le point de vu de Monsieur Sim.

Anna-Katia Vincent avait réussi à réduire la RED Dragon à sa plus stricte taille "d’appareil photo". Tous les câbles gainés. Nous avons fait bon usage du V bag (sorte de Steady bag pouvant se rigidifier à l’aide d’une pompe) pour installer l’appareil sur le tableau de bord. Le 40 mm Hawk offrait une parfaite valeur de plan sur Jean-Pierre.
Sur la galerie étaient installés des packs de batteries pour alimenter les sources exclusivement LED qu’Eric Gies avait préparées. Des plaques lumineuses Light Gear de la taille du GPS et du rétroviseur, des bandes LED pouvant se fixer n’importe où dans l’habitacle. Nous avions aussi un Flexlight sur ventouse au plafond. A l’extérieur, sur ventouse également un LT 400 avec Chimera et souvent un SL2 en douche au dessus du pare-brise.

Toutes ces sources étaient sur variateur à ma portée. Une fois sur la route, je pouvais les régler depuis mon siège. C’était une installation vraiment exceptionnelle qui nous a permis d’éviter au maximum la voiture travelling. Michel a pu rester auprès de Jean Pierre, lui parler en direct, lui donner la réplique du GPS tout en voyant l’image. Heureusement, Jean-Pierre Bacri adore conduire. En somme la voiture devait être autonome à tout point de vue. Nous étions donc tous embarqués à son bord : mise en scène, caméra, son, lumière… La Peugeot avait belle allure.
Pour éviter les problèmes de buée sur les vitres et les objectifs, la régie nous avait installé une tente chauffée qui nous permettait de travailler autour de la voiture à température pour éviter le choc thermique. Nous avions deux véhicules de jeu, un pour les extérieurs et l’autre pour les intérieurs en alternance. Une grosse logistique au service d’une grande liberté de tournage.

Comme dans tous ses films, Michel Leclerc mélange plusieurs types d’images d’origines diverses, souvent amateurs. Ici le personnage filme son journal de bord avec une GoPro au bout d’une perche à "selfie" ou placée sur son front. Jean-Pierre Bacri en a vite fait un accessoire de comédie. Et se sont les images de la même GoPro qui sont dans le film. Elles contrastent volontairement avec les images d’archives 16 mm couleur de 1968 projetées sur écran.
Les années 1970 devaient être bucoliques et hautes en couleurs. Il a fallu beaucoup de lumière dans les sous-bois pour que les couleurs vivent. 9 kW Arrimax sur Easylift, M40 complétés de quelques points chauds de rayons de soleil grâce aux Aircrafts d’Eric Gies. Les nuits en forêt sont assez éclairées aussi (4 kW sur nacelle), Kinos en reflets dans la rivière…

Pour les années 1950 un miracle s’est produit, une brume s’est installée sur Paris le jour de nos extérieurs en bord de Seine et aux Buttes-Chaumont. Cela raccordait parfaitement avec l’ambiance enfumée de la grande brasserie. Dans ce grand décor, les sources de lumière diffuse se combinaient bien avec le mouvement enveloppant du Steadicam au milieu des tables et des serveurs pour camper ce long flash-back en fin de film. Un pari audacieux auquel Michel n’a jamais renoncé.
J’ai poussé la Red à 1 600 ISO pour augmenter le grain qui est apparu très vite dans les parties brumeuses. A l’étalonnage, Richard Deusy a appliqué une LUT de retour sur film pour donner aux couleurs un aspect plus argentique. Une plus faible profondeur de champ accentuait les aberrations inhérentes aux Hawks V+ sur les bords de l’image donnant l’impression d’un léger vignettage seyant pour l’époque.

Le tournage, qui avait commencé en septembre en Italie, s’est terminé après de multiples interruptions fin janvier quand les premières neiges sont enfin tombées sur les hauts plateaux du Vercors. Nos efforts n’ont pas pu empêcher la buée et le givre d’apparaître sur le pare-brise ce qui a beaucoup inspiré Jean-Pierre dans sa conduite et nous de filmer à travers ce filtre naturel. Nous suivions le véhicule avec une caméra sur potence et une tête gyro-stabilisée.
La tombée de la nuit est obtenue par un mélange de plans en plein jour en nuit américaine, en crépuscule puis en vraie nuit. Tous les plans d’intérieur voiture en nuit sont tournés à l’arrêt dans une grange borniolée. Des effets ont été ajoutés en surimpression dans les vitres givrées.

Équipe

1re assistante caméra : Anna-Katia Vincent
Lumière : Eric Gies
Machinerie : Laurent Passera
Opérateur Steadicam : Eric Bialas

Technique

Matériel caméra : TSF Caméra (Red Dragon, optiques Hawk V+ 35, 40, 50, 75 mm, zoom Angenieux Optimo 56-152 mm)
Matériel machinerie - lumière : TSF Grip - TSF Lumière
Laboratoire : M141
Etalonneur : Richard Deusy
VFX : Alain Carsoux CGEV