La cheffe opératrice Èva Bedon parle du travail effectué en commun avec la réalisatrice Adèle Vincenti-Crasson sur "King Max"

Nous avons demandé à Adèle Vincenti-Crasson et Èva Bedon, réalisatrice et cheffe opératrice de King Max, court métrage en Sélection officielle de la Cinéfondation, d’évoquer leur travail en commun sur le film. Adèle est étudiante à La Fémis et c’est Èva, sortie récemment de la Cinéfabrique, qui retrace ici leurs partis pris esthétiques et leur expérience.

Nous nous sommes rencontrées près d’un mois avant le projet. La préparation du film a été très rapide. Dès nos premiers échanges, Adèle a parlé de son soucis face à la représentation du milieu Drag King. Il est très peu représenté, ce qui rendait encore plus fort son besoin de donner une image juste de ce milieu que je connaissais par ailleurs très mal. Nous avons alors passé pas mal de temps avec Jay des Adelphes, Vesper Quinn, Julie Furton, Ambroise..., des Drag King qui allaient devenir les comédiens-comédiennnes du film. J’ai d’ailleurs demandé de me faire "kinguer" par Julie, c’est-à-dire maquiller en Drag King pour tenter de mieux comprendre. Trois moments forts sont ressortis de cette expérience : l’appréhension avant le premier contact ; le moment suspendu du maquillage où notre concentration se focalise sur la personne en face de nous. Dans le film, ce moment est assez court mais il peut durer 40 minutes ou plus, et enfin la révélation qui est un moment tellement imprévisible ! Le challenge au jeu, au son, au montage et à l’image était de rendre un peu de cette expérience le plus justement possible tout en l’écourtant. Au final, cette séquence dure un peu moins de cinq minutes.

Le plus grand défi du film était de trouver une esthétique inspirée de l’ambiance Drag Kjng sans qu’elle ne prenne trop de place. Il ne fallait pas que ce soit trop spectaculaire, ne pas être voyeuriste. C’est vrai que c’est un milieu avec un très fort potentiel esthétique. Les maquillages, les costumes mais surtout des relations fortes entre les personnes ont quelque chose de très beau. Mais il ne fallait pas succomber à cette tentation. Le film est avant tout l’histoire très intime de Maximilienne. Arrive à nous alors un nouveau défi : comment être proche du personnage principal sans être indiscret ? Nous avons donc pris comme principe de ne pas dévoiler trop facilement les choses, voire de friser la frustration. Nous avons fait en sorte d’éviter les cadres trop large, d’aller de l’obscurité à la lumière et de toujours découvrir les espaces après le personnage principal.
Après différents essais, j’ai décidé de tourner avec des optiques Hawk V-Series Anamorphiques x2 mais de cropper dans l’image pour avoir un ratio de 1,85. De cette manière, nous créions une distance entre Maximilienne et son environnement tout en gardant une proximité caméra (spectatrices)-Maximilienne. Nous avons également ajouté des filtres de diffusion Black Pro Mist. Ces choix techniques offraient une douceur à la totalité de l’image et cassaient les contours, feutraient l’image et apportaient une sensibilité qui nous rapprochaient encore de Maximilienne. J’ai également essayé de filmer les corps dans l’espace par rapport au regard de Maximilienne. Il y a des corps nus, des corps dansants, des corps observés, des corps qui se touchent. Adèle et moi étions préoccupées par la représentation des corps. On a délimité des espaces : les corps s’affirment et sont libres dans le club alors que, dans la première partie, Maximilienne n’est pas à l’aise avec son corps. À partir de cette délimitation les cadres étaient plus évidents.

Notre deuxième envie était d’avoir une approche documentaire, notamment pour toute l’expérience vécue à l’intérieur du club. Nous avons privilégié une caméra épaule, organique et des plans s’étendant dans la durée. Les comédiens-comédiennes professionnel(le)s et non professionnel(le)s s’alternent, se mélangent et certaines scènes sont improvisées.
La performance de Thomas Occhio existait déjà. Le travail a été de lui trouver une ambiance lumineuse. J’ai pas mal échangé avec Vesper Quinn (Thomas Occhio) sur cet aspect. L’idée finale a été de ne pas être trop coloré (monochrome doré) et de jouer avec des oppositions lumineuses (droite-gauche ou silhouette-face). Il fallait être simple pour laisser vivre la performance et tout ce qu’elle raconte. Nous avons fait très peu de prises (une en large et deux en serré), Vesper Quinn était vraiment incroyable.

Une fois que nous avions trouvé l’ambiance du club, il a fallu penser une manière de l’opposer au premier espace : l’appartement familial. Il y a eu un travail au niveau des cadres, moins incarnés, plus symétriques et figés dans le première partie. Il y a également eu pas mal d’essais d’étalonnage avec Rodolphe Deshardillier. La première séquence est assez neutre : pas trop de hautes lumières ni trop de basses, peu de couleurs. Il faut attendre la sortie de l’appartement pour être plus saturé et contraste. Cependant, on a gardé, tout au long du film, deux teintes principales, le doré et le bleu. Cela nous a permis de créer une évolution tout en gardant une vraie continuité.

Ce tournage était une très belle expérience vraiment imprégnée du réel dans le choix des décors, des musiques, de la figuration. La frontière était peu marquée entre les comédien et comédiennes, l’équipe artistique et l’équipe technique. C’était une volonté d’Adèle que cette histoire soit racontée et fabriquée par des personnes, de près ou de loin, impliquées. Je la remercie pour ça, je pense que ça a ajouté une justesse au film.

Texte écrit par Èva Bedon en exclusivité pour l’AFC.