Editorial

La crainte de parler et la honte de se taire

Par Matthieu Poirot-Delpech, coprésident de l’AFC
Cannes, 1987. La Palme d’or est attribuée à Sous le soleil de Satan. Son réalisateur, Maurice Pialat, monte sur scène sous les huées et, brandissant son poing en direction d’un parterre de privilégiés endimanchés, il lance : « Vous ne m’aimez pas… Je ne vous aime pas non plus ! » Au moins, ça avait le mérite d’être clair.
Cannes, 2013. Autre époque, autres privilégiés endimanchés assistant à la remise de la Palme d’or à Abdellatif Kechiche pour La Vie d’Adèle. Le cinéma français rayonne toujours et l’on feint de s’aimer.

Ceux que l’on n’aime pas sont restés dans le Nord Pas-de-Calais. Ils n’ont pas été conviés à la fête. Et pour cause… Pour eux, si l’on en croit les témoignages recueillis (lire le témoignage d’un technicien ayant travaillé sur le film), le champagne aura eu des relents nauséabonds. Sous-payés et surexploités bien au-delà des limites définies par le code du travail, ils ne bénéficieront jamais des retombées financières que ce prix ne manquera pas de générer.

Si l’attitude de la production vis-à-vis des techniciens de ce film peut nous écœurer, la Palme d’or aura au moins eu le mérite de mettre en lumière ce type de comportement. On le voit : l’argumentaire poussif défendu par les opposants à l’extension de la Convention Collective est indéfendable. La nécessité d’encadrer des pratiques qui confinent à la sauvagerie la plus libérale devient une évidence, une urgence.

« L’exception culturelle est le meilleur moyen de préserver la diversité du cinéma », a déclaré Steven Spielberg sous les ors du Palais des Festivals à l’issue de la cérémonie de clôture. Oui, mais à quel prix ?

Il y a des films qu’on aimerait tant pouvoir aimer... Je ne verrai pas La Vie d’Adèle.

Matthieu Poirot-Delpech, coprésident de l’AFC

(En vignette de cet article, Léa Seydoux, Abdellatif Kechiche et Adèle Exarchopoulos à Cannes après la remise de la Palme - Photo Medhi Chebil, France 24)