Editorial
La crainte de parler et la honte de se taire
Par Matthieu Poirot-Delpech, coprésident de l’AFCCannes, 2013. Autre époque, autres privilégiés endimanchés assistant à la remise de la Palme d’or à Abdellatif Kechiche pour La Vie d’Adèle. Le cinéma français rayonne toujours et l’on feint de s’aimer.
Ceux que l’on n’aime pas sont restés dans le Nord Pas-de-Calais. Ils n’ont pas été conviés à la fête. Et pour cause… Pour eux, si l’on en croit les témoignages recueillis (lire le témoignage d’un technicien ayant travaillé sur le film), le champagne aura eu des relents nauséabonds. Sous-payés et surexploités bien au-delà des limites définies par le code du travail, ils ne bénéficieront jamais des retombées financières que ce prix ne manquera pas de générer.
Si l’attitude de la production vis-à-vis des techniciens de ce film peut nous écœurer, la Palme d’or aura au moins eu le mérite de mettre en lumière ce type de comportement. On le voit : l’argumentaire poussif défendu par les opposants à l’extension de la Convention Collective est indéfendable. La nécessité d’encadrer des pratiques qui confinent à la sauvagerie la plus libérale devient une évidence, une urgence.
« L’exception culturelle est le meilleur moyen de préserver la diversité du cinéma », a déclaré Steven Spielberg sous les ors du Palais des Festivals à l’issue de la cérémonie de clôture. Oui, mais à quel prix ?
Il y a des films qu’on aimerait tant pouvoir aimer... Je ne verrai pas La Vie d’Adèle.
Matthieu Poirot-Delpech, coprésident de l’AFC
(En vignette de cet article, Léa Seydoux, Abdellatif Kechiche et Adèle Exarchopoulos à Cannes après la remise de la Palme - Photo Medhi Chebil, France 24)