La directrice de la photographie Josée Deshaies parle de son travail sur "Saint Laurent", de Bertrand Bonello

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Josée Deshaies, que nous avions déjà rencontrée pour Avant que j’oublie, de Jacques Nolot, La Question humaine, de Nicolas Klotz, Rebecca H., de Lodge Kerrigan, et L’Apollonide, de Bertrand Bonello, nous parle de Saint Laurent, en compétition officielle à Cannes cette année. Sixième long métrage de Bertrand Bonello, elle a collaboré à tous ses films.

Synopsis : Un biopic centré sur la période 1965-1976 du créateur Yves Saint Laurent. Avec Gaspard Uliel (Yves St Laurent), Jérémie Rénier (Pierre Bergé), Léa Seydoux (Loulou de la Falaise) et Louis Garrel (Jacques de Bascher).

Quel support avez-vous choisi et pourquoi ?

Josée Deshaies : Dès le début de l’écriture du scénario, l’évidence du 35 mm s’est imposée. Quand un réalisateur a ce genre de certitude, c’est plus facile de convaincre une production. Nous savions qu’il y aurait des préoccupations sur le ratio pellicule mais au final, nous sommes arrivés au mètre près. Si la deuxième prise est bonne, Bertrand s’arrête là.
Ce qui nous laisse la possibilité de faire dix ou quinze prises sur d’autres scènes. Avec un budget de sept millions, la différence de prix entre l’argentique et le numérique est assez minime, cependant, la qualité visuelle demeure.

Comment avez-vous abordé le biopic et comment l’avez-vous éclairé ?

JD : Le film se situe entre 1967 et 1976. Soit une période charnière entre la fin – en tout cas dans ce milieu bourgeois français – et le début d’une autre époque. La toute fin du film se déroule vingt ans plus tard, à un moment de dé-fête et on retrouve un Saint Laurent plus âgé, pris par ses démons. Là se rejouera, dans un dernier élan opératique, les moments les plus importants de sa vie.
Comment raconter une vie, en lumière ? C’était toute la problématique.
J’ai choisi d’accompagner les trois époques de la vie de Saint Laurent en les éclairant différemment. La première partie du film est beaucoup sur les gestes, ce qui me touche toujours à l’écran. Le geste des vraies couturières mais aussi des médecins, maquilleuses, etc. Pour ça, il faut une lumière fonctionnelle, douce et dirigée. On a envie de tout voir.

Ensuite arrivent les années 1970 et on bascule dans quelque chose de plus coloré parce qu’il y a le Maroc, le disco, parce que Saint Laurent est au sommet de son art, dans les matières, l’agencement des motifs, dans le mouvement des textures. On déploie une puissance baroque. J’ai employé des gélatines, des lumières colorées, un peu plus crues.
Dans la troisième partie, on découvre un homme plus âgé et abimé par les excès, l’ambiance est plus contraste, plus sombre. Quelque part la lumière intérieure s’est éteinte.

Avez vous tourné en studio ?

JD : Non. Pour des raisons financières et parce que Bertrand n’est pas à l’aise avec cette idée. La chef décoratrice a trouvé deux immeubles vides dans le 16ème, à Paris. Ces lieux sont devenus nos studios, avec de vraies fenêtres, de vrais parquets.
La difficulté était la verticalité de nos " studios " avec des décors du rez-de-chaussée au quatrième étage. Monter les 12 kW et les 18 kW pour éclairer par les fenêtres chaque jour, c’était un vrai ballet de nacelles ! J’ai gardé le même matériel pour tout le tournage mais je l’ai utilisé différemment. En réfléchi pour la première partie, en indirect sur la seconde en n’utilisant que la lumière résiduelle, en direct calquée sur la dernière.

Et les optiques ?

JD : J’ai découvert les Sumilux de Leica. J’ai testé les Master Primes et les Ultra Primes mais au final, j’ai préféré leur rendu. De plus, elles se mariaient bien avec le zoom Angénieux Optimo que j’avais choisi pour faire des zooms un peu violents, à la manière de Visconti.

Comment la postproduction s’est-elle passée ?

JD : Sur L’Apollonide, nous avions une copie 35. Trois ans plus tard, nous n’avons plus le choix, il nous faut un DCP. C’est cette chaine un peu hybride argentique-numérique qui me questionne toujours. Comment gagner sans y perdre ?
Mais comme dit le personnage de Pierre Bergé dans le film : « Soit on évolue, soit on meurt ! ». (Sourire…)
La pellicule a été développée chez Digimage mais pour des raisons de coproduction, nous avons étalonné chez Digital Factory. Dès le départ, je n’étais pas convaincue de la LUT proposée car elle bridait trop le négatif. J’en ai testé plusieurs et finalement j’ai choisi la LUT Kodak de base. Son rendu des couleurs était plus juste, les noirs étaient moins enterrés.
J’avais souvent filtré au tournage pour diffuser un peu dans les basses lumières. Parfois ce n’était pas assez donc on a aussi filtré subtilement au Lustre pour adoucir l’image tout en gardant de l’éclat, de la brillance. Comme un glacis en peinture.
J’aime penser que nos recherches sur l’image auraient plu à Yves Saint Laurent...

(Propos recueillis par Brigitte Barbier pour l’AFC)