La fausse teinte, Souvenirs de tournage avec Do

par Dominique Chapuis La Lettre AFC n°105

Les moments que je préfère sur les nombreux films dans lesquels j’ai collaboré avec Do sont ceux où nous étions bloqués sur une grue en hauteur, la tête dans les nuages. Tels des pilotes d’avion nous faisions un dernier check :
Pellicule magasins : pleins
Filtres : ok
Batterie : branchée
Diaph : affiché
Quand nous devions attendre le soleil, nous plongions la tête la première dans le nuage qui nous empêchait de tourner. C’est ce que nous appelons dans le jargon des saltimbanques des plateaux : " La fausse teinte ". Nous faisions toujours des trouvailles surréalistes. Nous avions inventé en Israël, la calotte réfrigérante pour les jours de soleil puis nous avions agrandi la collection avec la Kippa à velcros pour les jours de grand vent.
Quand j’écrivais mon livre, nous montions un célèbre restaurant Casher à New York. `
Quand il écrivait son scénario : Adieu, vieille Europe, nous recevions l’Oscar du meilleur film étranger. Nous avions même commencé son discours de remerciements, mais notre ami machiniste nous a demandé d’arrêter le fou rire, vu les vibrations qu’il engendrait.
Après c’était devenu une habitude, à chaque fausse teinte nous nous mettions la tête dans les nuages ; même quand nous étions au sol.
Il m’a semblé nécessaire de lui écrire ce petit texte car nous parlions souvent d’écriture, de nos proches, de nos soucis et de nos angoisses. Quand mon ton devenait un peu trop plaintif à son goût, il me regardait et s’avançait en inclinant légèrement la tête sur le côté, comme pour me faire une confidence à l’oreille. Il prenait ensuite son plus bel accent yiddish et disait : « Wooui maissieur... Nous aussi, nous avons beaucoup souffert pendant la guerre » . Alors le nuage dans lequel nous étions redevenait immédiatement cotonneux et doux.
Je lui raconte l’histoire d’un sage africain qui rencontre une petite fille jouant avec un morceau de bois. Le sage lui demande ce qu’elle fait, l’enfant lui répond que le bout de bois est sa fille à qui elle donne à manger. Le sage réalise devant cette vision que seul l’amour est assez fort pour donner vie à un vulgaire morceau de bois.... C’est l’histoire de Gepetto avec Pinocchio. Dominique avait cet amour et répandait la vie autour de lui.
A l’heure où j’écris ce texte, je suis moi-même sur un nuage et les souvenirs cognent à ma porte exactement comme je cognais à celle de sa chambre d’hôtel pour vérifier qu’il était bien réveillé quand nous devions partir à l’aube.
Je me rappelle ces départs dans les ciels de petit matin avec, au creux de l’estomac, l’appréhension de la journée à accomplir. Mais là encore, la tête dans nos nuages, nous parlions du soleil qui viendrait immanquablement. Bientôt.
Qui a connu Dominique en Gepetto ?
Quand un membre de son équipe avait fait une imprécision, il demandait pourquoi les choses n’avaient pas été faites rigoureusement selon ses instructions. J’étais souvent en première ligne et cherchais alors la première excuse venue. Il ne s’en laissait pas compter ; c’était Gepetto le malin. Il pointait un index accusateur... Ses fossettes se creusaient avec un sourire coquin et il disait : « Je vois ton nez... Regarde ! Il est en train de s’allonger ».
Mathilde, sa fille, a eu droit aussi à son Dominique Gepetto.
Ayant eu le bonheur de flâner la tête dans les nuages avec Dominique, je voulais avec ces modestes lignes, lui offrir à mon tour ma fausse teinte, lui rendre hommage et le raconter à ceux qui l’aimaient mais qui ne l’ont jamais connu dans l’intimité.
Et à vous, tous les amis des plateaux du cinéma, permettez-moi de vous demander d’aller lui dire un petit coucou sur son nuage à la prochaine fausse teinte. Vous verrez, il sera là pour rire avec vous des nouvelles trouvailles qu’il aura faites.

Michel Gottdiener

Assistant de Do pendant quelques dizaines de milliers de kilomètres et plusieurs millions de secondes (avec Do jamais de repos, le présent était perpétuel).